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Rouen. Quand Charles VII les en eut chassés, il donna à la ville des institutions et des privilèges qui attestaient encore en 1789 son ancienne importance navale. Ces souvenirs ne seront point vains, s’ils nous encouragent à relever une prospérité ensevelie sous les sables de la Somme, et à donner sur cette côte inhospitalière un point d’appui de plus à notre établissement maritime.

Si la navigation de la baie de la Somme était assurée de cette manière, le comblement de l’ancien lit en amont de Saint-Valery y deviendrait à peu près indifférent ; rien ne s’opposerait plus à ce que la conquête en fût abandonnée à l’agriculture, et des travaux peu dispendieux pourraient la rendre fort rapide. La surface cultivable serait de 2,500 hectares ; elle est la propriété de l’état, et les alluvions de même nature déjà formées sur ses bords se vendent incultes sur le pied de 2,000 fr. l’hectare. L’aliénation des terrains à livrer à l’industrie particulière rendrait le double de ce que coûterait l’ouverture du canal maritime du Crotoy, et l’état s’assurerait, par les contributions de toute nature assises sur le Marquenterre assaini, sur les terres créées et sur le nouveau port, un revenu qui ne saurait être au-dessous de 300,000 francs.

Ces travaux profiteraient à Saint-Valery autant qu’au Crotoy, puisque c’est dans la partie inférieure du chenal, dont l’usage leur est commun, que la navigation trouve le plus d’obstacles, et c’est celle que creuseraient les eaux réunies au Crotoy ; les deux ports desserviraient d’ailleurs, chacun de son côté, des territoires distincts, et sur lesquels ils ne sauraient ni se faire concurrence ni se suppléer.

Au temps des Valois, l’entrée de la Somme était plus facile qu’aujourd’hui ; la montagne conique de Saint-Valery, que couronne la vieille tour d’Harold, qu’enveloppe un si riche manteau de verdure, constituait une très forte position, et les couleurs anglaises flottaient, de l’autre côté de la baie, sur les tours aujourd’hui rasées du Crotoy. Saint-Valéry dut à ces circonstances son importance militaire, sa gloire et ses malheurs. Pris par les Anglais en 1356, il fut bientôt repris par nous, et Louis XI le fit brûler en 1475, pour le soustraire aux conséquences d’une trahison que le maréchal de Saint-Pol paya bientôt après de sa tête. Depuis, Saint-Valery a prospéré par le commerce. Lors de l’inspection faite en 1664 par ordre de Colbert, le port possédait un matériel naval supérieur à celui d’aujourd’hui ; il armait 5 bâtimens pour la pêche de la baleine ; il faisait celle de la morue ; il employait 70 bâtimens à celle du hareng, et préparait si bien ce poisson, que le baril s’y vendait plus cher que dans tout autre port.

La lente détérioration de l’attérage a graduellement atténué ces avantages, et les travaux exécutés dans l’intérieur de la baie ne les ont point rétablis ; c’est, en effet, au seuil que sont les difficultés. Le canal maritime