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la navigation dans la région des falaises et de la lutte sans repos que l’industrie de l’homme doit y soutenir contre l’action de la mer sur la côte, si l’on n’était au fait de la constitution géologique de celle-ci. Les principales circonstances dont le marin, l’ingénieur et l’homme d’état aient à y tenir compte en sont les conséquences directes ; cette étude aurait épargné bien des fautes au passé, et Dieu veuille que l’avenir n’ait pas à reprocher au présent de ne point l’avoir complétée !

I.


Le cours de la Somme est séparé de celui de la Seine par un plateau élevé dont la base est la craie ; les principaux cours d’eau qui le sillonnent descendent vers la mer perpendiculairement à la côte, et ont tracé dans la roche poreuse qu’ils humectent d’étroites et profondes vallées.

Entre l’embouchure des deux rivières, d’Ault au cap de la Hève, la côte présente, sur une longueur de 140 kilomètres, une coupe verticale du plateau crayeux aussi nette dans sa sauvage grandeur que pourraient la figurer en petit les procédés de la géométrie descriptive. Ce sont les falaises de Normandie. Elles sont, pour les habitans du plateau, un long précipice jusqu’aux bords duquel s’étendent les moissons. Aucune ondulation du terrain n’avertit de leur voisinage ; tout à coup la plaine manque sous les pieds, l’abîme se découvre, et cet abîme est l’Océan. Elles apparaissent au navigateur comme une muraille de 60 à 100 mètres de haut, tantôt se détachant sur un ciel grisâtre et couronnées d’une étroite ligne de verdure, tantôt à demi cachées dans les nuages noirs que les vents fréquens du nord-ouest font voler au-dessus des lames, tantôt enfin éblouissantes de blancheur et chamarrées de vastes ombres sous les rayons obliques du soleil couchant. Par un beau jour, l’éclat de leurs reflets fait souvent distinguer leurs formes à 40 kilomètres de distance. Les ouvertures des principales vallées qui débouchent sur la mer semblent des brèches faites dans ces gigantesques remparts ; des échancrures, qui n’en atteignent pas le pied, marquent les places où s’écoulent les eaux des petits bassins intérieurs. De rians hameaux, des villes populeuses se montrent dans chacune de ces ouvertures. Ainsi, dans leur majestueuse uniformité, les falaises conservent une variété d’aspects à laquelle le matelot reconnaît à chaque heure du jour sa position. La nuit, leur voisinage est signalé à 32 kilomètres au large par les phares de la Hève, de Fécamp, d’Ailly, élevés, le premier, de 136 mètres, le second de 130, et le troisième de 93 mètres au-dessus du niveau de la mer[1].

  1. Toutes les fois que dans le cours de ces notes le niveau de la mer est pris pour repère de la mesure des hauteurs, il est entendu que c’est, comme dans le cartes hydrographiques de la marine, celui des plus basses mers de vive eau.