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le monde entier ; et, quand on y réussirait, le chiffre de la production actuelle ne prouverait rien quant à la production possible. Qu’on veuille donc bien se souvenir que jusqu’ici la culture de la canne à sucre a été constamment découragée dans les pays tropicaux, par l’incroyable obstination que l’Europe a mise à repousser ce produit, quand il ne venait pas exclusivement de quelques points déterminés. Si l’on considère que quelques portions fort restreintes du territoire français, exceptionnellement semées en betterave, plante qui ne contient que de faibles parties saccharines, ont produit l’année dernière 53 millions de kilogrammes de sucre, et même davantage en tenant compte des quantités fraudées, on pourra se faire une idée de la masse énorme que jetterait au besoin sur le marché de l’Europe un empire tel que le Brésil, si la culture de la canne y devenait, comme il est permis de s’y attendre, la principale culture du pays. Cependant le Brésil n’est pas à beaucoup près le seul pays sur lequel l’Europe puisse compter. Le doute n’est donc pas permis sur la possibilité d’un accroissement suffisant. L’est-il davantage sur la rapidité de cet accroissement ? ’ Les faits ont déjà répondu. Qu’avons-nous vu en Angleterre ? En 1846, les droits sur les sucres étrangers sont réduits ; aussitôt la consommation augmente dans une très forte proportion. Et non-seulement l’importation suit sans effort le progrès de cette consommation croissante, mais elle la devance de beaucoup, car, tandis que la consommation ne s’est accrue, dans les six premiers mois de 1847, comparativement aux six premiers mois de l’année précédente, que de 25,900,000 kilogrammes, l’importation s’est accrue de plus de 50 millions. Cinquante millions en six mois, c’est cent millions en un an. Pourtant il s’en faut de beaucoup que l’Angleterre ouvre ses portes toutes grandes aux importations du monde entier. Comment douter après cela de la possibilité, pour les pays producteurs, de livrer à la France 500 millions de kilogrammes dans dix ans ?

Tout ceci suppose, comme on l’a vu, que les surtaxes seraient entièrement abolies, et qu’une égalité parfaite serait établie entre les provenances de nos colonies et celles des pays étrangers. Si l’on jugeait devoir adopter d’abord un régime de transition, les résultats obtenus seraient moins brillans, bien qu’il fût encore possible de réaliser de beaux avantages, pourvu qu’on eût soin de modérer beaucoup les surtaxes et de faire disparaître au moins les distinctions si mal à propos établies entre les divers pays étrangers. Dans ce cas, le droit pourrait demeurer fixé à 35 fr. les 100 kilogrammes sur les sucres étrangers, et on le réduirait à 30 fr. sur le sucre de nos colonies. Pour les autres denrées, on admettrait des différences proportionnelles, en procédant toujours par réductions sur les provenances des colonies plutôt que par aggravations sur les provenances étrangères. De cette manière, l’accroissement