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Il y avait des bourgeois de Thèbes qui s’appelaient Ramsès, Thoutmosis, etc. Comment s’en étonner ? Il y en avait bien qui portaient des noms divins, les noms d’Ammon et d’Athor. J’ai trouvé sur ces rochers un Osortasen, et très souvent répété le nom propre d’Ammoni, celui dont les Grecs ont fait Ammonios, les Romains Ammonius, et qui reparaît plusieurs fois dans l’histoire de l’école d’Alexandrie. Après ce nom, j’ai vu très souvent un signe singulier, que je ne crois pas un hiéroglyphe, et qui ressemble à un phi grec, φ. Peut-être était-ce l’initiale de Philoe. A côté des hiéroglyphes, on a dessiné sur les rochers de véritables bonshommes. Évidemment ces inscriptions hiéroglyphiques ont une origine populaire. Quelques-unes ont servi peut-être à désennuyer un soldat de la garnison de Philoe. Ceci pourra étonner ceux qui croient que les hiéroglyphes étaient un mystérieux système d’écriture réservé aux prêtres et inintelligible au vulgaire ; mais cette opinion, long-temps régnante, ne peut tenir contre les faits. Les temples, les palais, les tombeaux, les meubles les plus usuels, les ustensiles les plus vulgaires, même les jouets d’enfans trouvés dans les tombes, sont couverts d’hiéroglyphes, destinés évidemment à être lus par tout le monde. Ici, les inscriptions éparses sur les rochers, et qui ne contiennent rien de mystérieux, montrent assez l’universalité et la prodigalité des signes hiéroglyphiques ; elles montrent aussi que dans tous les temps certains hommes ont eu la manie de graver pour l’avenir des noms inconnus et d’immortaliser leur obscurité.

Nous avons fait assez de chemin, allant à travers le sable, d’un massif de rocher à un autre, montant et descendant tour à tour, selon que nous apercevions sur un sommet ou dans la plaine la blancheur de quelques hiéroglyphes se détachant sur la pierre noire. De la cime de l’un de ces massifs, où nous avait attirés une convoitise de ce genre, nous avons eu un spectacle qui valait mieux que ce que nous étions venus chercher. Au bout d’une plaine de sable, nous avons aperçu tout à coup, aux dernières lueurs du jour expirant, s’élever, dans la solitude, les monumens de l’île de Philœ. Ces monumens sont à peu près intacts, et nous paraissaient l’être entièrement ; rien de moderne ne se mêle à ces temples antiques d’une si étonnante conservation. On pouvait croire qu’on avait devant les yeux une ville égyptienne encore habitée. Quand les pèlerins qui venaient adorer le tombeau d’Osiris découvraient les temples de Philoe, ces temples leur apparaissaient ainsi à l’horizon. Ce qui frappait leurs regards vient de frapper les nôtres, et à cet aspect inattendu d’une ville antique, se dressant tout à coup dans le désert, nos cœurs, à nous pèlerins de l’étude, n’ont pas battu, je crois, moins fortement que les leurs.