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et avec assez de raison, que l’égalité entre leurs produits et ceux de la fabrique indigène est plus apparente que réelle. Dans la position où les fabricans métropolitains se trouvent, ils peuvent aisément soustraire une partie de leur production à l’impôt, et il est trop certain qu’ils n’y manquent pas. Vainement a-t-on multiplié les précautions législatives contre la fraude, ces précautions seront inutiles tant que l’impôt ne sera pas réduit. Ajoutez à cela que les fabricans indigènes peuvent raffiner leurs sucres, avantage dont les colons sont actuellement privés par la loi. D’un autre côté, la population de nos colonies n’a-t-elle pas quelque droit de nous dire : Un pacte avait été conclu entre la métropole et nous ; vous vous étiez réservé un privilège exclusif sur le marché des colonies, et vous nous aviez accordé en retour un privilège semblable sur le marché de la France ; le privilège de la métropole subsiste, qu’est devenu le nôtre ? Ce raisonnement n’est certainement pas très concluant quand on le fait valoir en faveur d’un retour vers l’ancien état des choses, car les privilèges respectifs que l’on invoque n’étaient pas exercés à beaucoup près dans les mêmes conditions ; mais il nous paraît irrésistible quand on le fait valoir en faveur d’une émancipation réciproque. Cette émancipation commerciale est aujourd’hui la seule solution vers laquelle nos colonies doivent tendre. Toute autre perspective serait pour elles trompeuse et vaine.

Si nous considérons la question au point de vue de la marine marchande, il n’est pas exact de dire, comme on le fait souvent, que jusqu’ici la fabrication du sucre indigène ait diminué beaucoup les ressources de la marine. Les sucres des colonies ont-ils cessé de venir sur nos marchés ? Non ; ils y viennent toujours comme autrefois et en quantités pareilles. Dira-t-on qu’ils y viendraient en plus grande abondance, si les sucres de betterave ne leur disputaient pas le marché ? Il faudrait oublier pour cela que la production coloniale est parvenue, à peu de chose près, à ses dernières limites. S’il est vrai qu’elle soit susceptible de s’étendre encore, ce n’est du moins que dans une bien faible mesure, et le consommateur de la métropole paierait chèrement les frais de cette extension. Tout ce qu’on peut raisonnablement prétendre, c’est que la fabrication indigène a achevé d’annuler en France la consommation des sucres étrangers, consommation bien faible d’ailleurs, et qui, sous le régime actuel, n’aurait jamais pu s’étendre bien loin. Ne disons donc pas que dans tout cela notre marine marchande ait beaucoup perdu de ses avantages passés. Ce qui est malheureusement trop vrai, c’est que l’extension rapide de la fabrication indigène altère d’avance ses ressources futures. Elle hypothèque son avenir. Le sucre pourrait devenir et deviendrait certainement, sous un régime plus libéral, un des principaux alimens de nos transports maritimes. C’est là peut-être le meilleur ou le plus sûr espoir de notre marine marchande,