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ordinaires de la métropole, on vit paraître sur les marchés de la Grande-Bretagne quelques faibles parties de sucres étrangers ; mais c’étaient des envois exceptionnels, qui ne pouvaient pas avoir de suite. Par une raison semblable, les sucres étrangers n’entrent pas dans la consommation de la France, car, s’il en paraît une certaine quantité sur nos marchés, ils n’y viennent que pour être raffinés et réexportés avec prime, la prime étant proportionnée, dans ce cas, à l’importance du droit perçu[1].

Ainsi, des deux côtés, tout en grevant de fortes taxes les sucres venant des colonies, on a repoussé d’une manière presque absolue les provenances étrangères. En ce sens, les situations sont pareilles, ou du moins elles l’étaient avant les dernières réformes adoptées en Angleterre ; mais, à d’autres égards, quelles différences !

Avant l’émancipation des nègres dans les colonies anglaises des Indes occidentales, en 1831, 32 et 33, la moyenne annuelle de la production de ces colonies en sucre était de 192 millions de kilogrammes[2], sans compter ce que fournissaient dès cette époque les colonies des Indes orientales et l’île Maurice. La consommation de la Grande-Bretagne avait donc pu s’accroître assez librement jusqu’à cette limite, et, en effet, elle n’élevait, avant l’émancipation, à plus de 200 millions de kilogrammes. Ajoutons que la production des colonies anglaises était en quelque sorte indéfinie, et qu’il n’eût tenu qu’à la métropole de la développer davantage, au moyen d’un tarif plus modéré. Pour la France, au contraire, les envois des colonies, depuis 1815, n’ont jamais pu s’élever à plus de 90 millions de kilogrammes. La moyenne des six années antérieures à 1845 n’est pas même de 85 millions ; encore, pour atteindre ce chiffre, relativement si faible, nos colonies ont-elles dû forcer leur production, chasser toutes les plantes qu’elles cultivaient autrefois avec succès, pour y substituer partout la canne, consacrer à cette culture unique les terres qui y conviennent le moins, épuiser

  1. il est même arrivé quelquefois que le montant des primes payées à l’exportation a excédé, par rapport aux sucres étrangers, la somme des droits perçus. Par exemple, en 1845, on ne trouve en recette, à l’importation des sucres étrangers, qu’un chiffre de 8,439,614 francs, tandis que les restitutions de droits, soi-disant sur les mêmes sucres, se sont élevées, dans la même année, à 9,672,758 francs, ce qui prouve que ces sucres étrangers, loin de rester dans la consommation de la France, y servent plutôt de prétexte pour favoriser, au moyen de la fraude, l’écoulement au dehors d’une certaine quantité de sucre colonial ou indigène.
  2. Cette production est tombée, savoir : pendant les années de l’apprentissage des nègres, en 1835, 36 et 37, à 173,879,600 kil. en moyenne, et après l’émancipation complète, en 1839, 40 et 41, à 119,839,000 kil. Elle s’est pourtant relevée dans la suite, mais sans remonter à son ancien niveau. L’importation de toutes les colonies anglaises réunies, pour les six premiers mois de 1847, a été de 142 millions de kilogrammes, ce qui suppose environ 284 millions pour l’année entière.