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aussi sacré que ma personne ; c’est mon sang, c’est ma vie, c’est moi-même ; mes 100,000 francs de revenu sont aussi inviolables que la journée de 75 centimes de la grisette, mes appartemens que sa mansarde. Si l’état me prend plus, qu’il me rende plus, ou qu’il cesse de me parler d’égalité des droits ; car autrement la société n’est plus instituée pour défendre la propriété, mais pour en organiser la destruction. L’état, par l’impôt proportionnel, se fait chef de bande ; c’est lui qui donne l’exemple du pillage en coupe réglée ; c’est lui qu’il faut traîner en cour d’assises, en tête de ces hideux brigands, de cette canaille exécrée qu’il fait assassiner par jalousie de métier. »

Remarquez que tout ceci s’adresse, non à l’impôt progressif, que M. Proudhon regarderait à plus forte raison comme attentatoire à la propriété, mais à l’impôt proportionnel, dont le principe est généralement admis comme juste. Ce jeu d’esprit n’est évidemment qu’une plaisanterie, mais qui suffit pour montrer quelle idée exagérée M. Proudhon aime à donner de la propriété. Puisqu’à ses yeux l’impôt le plus régulier est un pillage, un vol, nous ne devons pas être étonné de lui voir attribuer la même épithète à la propriété elle-même ; mais à quoi bon discuter avec lui sur ce point ? En réalité, ce qu’il appelle l’usufruit, la possession, c’est ce que nous appelons la propriété. L’homme n’est nécessairement qu’usufruitier sur cette terre ; de tous les arbres que tu as plantés, dit le poète latin, nul ne te suivra dans ta dernière demeure qu’un cyprès. Est-ce donc le droit de transmission que M. Proudhon veut enlever au propriétaire ? Est-ce l’héritage qu’il attaque ? Pas davantage. Voici en effet en quels termes il pose lui-même ce qu’il appelle le problème social : « trouver un système d’égalité absolue, dans lequel toutes les institutions actuelles, moins la propriété ou la somme des abus de la propriété, non-seulement puissent trouver place, mais soient elles-mêmes des moyens d’égalité, liberté individuelle, division des pouvoirs, ministère public, jury, organisation administrative et judiciaire, unité et intégralité dans l’enseignement, mariage, famille, hérédité en ligne directe et collatérale, droit de vente et d’échange, droit de tester et même droit d’aînesse ; un système qui, mieux que la propriété, assure la formation des capitaux et entretienne l’ardeur de tous, qui d’une vue supérieure explique, corrige et complète les théories d’association proposées jusqu’à ce jour, depuis Platon et Pythagore jusqu’à Babeuf, Saint-Simon et Fourier ; un système enfin qui, se servant à lui-même de transition, soit immédiatement applicable. »

Retranchez de ce programme deux mots qui ne sont là que pour l’honneur de la théorie, et je suis prêt à l’accepter. M. Proudhon lui-même a été au-devant de la conciliation en laissant l’alternative entre ces mots : Moins la propriété, et ceux-ci : Moins la somme des abus de la propriété. Il est bien entendu que c’est cette dernière rédaction que je