Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/859

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme dans les villes, les règlemens de police urbaine sur les alignemens, et, dans les campagnes, les lois sur les cours d’eau, sur les défrichemens de bois, sur les servitudes de tout genre imposées à la propriété.

Dans l’état actuel des choses, le propriétaire nominal n’est le plus souvent que le gérant d’une société en commandite, dont les actions sont disséminées à l’infini. Lui seul a la responsabilité des pertes, mais il est loin d’avoir droit à tous les bénéfices. Et c’est une propriété ainsi constituée que M. Proudhon accuse de spoliation et de vol ! Je concevrais une telle attaque contre la propriété féodale créée par la conquête et rendue inaccessible par la loi à quiconque n’est pas né propriétaire ; mais il y a long-temps que cette propriété-là n’existe plus. La propriété moderne s’obtient par le travail et se maintient par le travail ; dans cette lutte incessante des intérêts, la propriété est sans cesse menacée d’empiétement et de division ; il faut, pour la conserver, presque autant d’efforts que pour l’acquérir. Au milieu des droits et des prétentions qui se croisent, elle échappe quelquefois, elle devient illusoire, et, si quelque progrès est à désirer dans son organisation, c’est quelque chose qui la rende plus réelle, plus liquide, plus personnelle. M. Proudhon lui-même a observé avec beaucoup de finesse que le lien qui unit aujourd’hui la plupart des propriétaires à la propriété s’est singulièrement relâché, et que nous vivons tous beaucoup plus de la circulation que de la propriété proprement dite. Cette sorte d’idéalisation de la propriété, cette abstraction constante du capital, est un fait que la crise actuelle a rendu évident. Pourquoi donner de si grandes proportions à ce qu’on reconnaît en même temps être si peu de chose, qu’un souffle le détruit en un moment ?

M. Proudhon s’amuse quelquefois à soutenir que les lois qui défendent la propriété tendent, en réalité, à la détruire, témoin la tirade suivante contre le principe de l’impôt proportionnel : « Pour subvenir aux charges du gouvernement, qui a des armées à entretenir, des travaux à exécuter, des fonctionnaires à payer, il faut des impôts. Que tout le monde contribue à ces dépenses, rien de mieux ; mais pourquoi le riche paierait-il plus que le pauvre ? Cela est juste, dit-on, puisqu’il possède davantage. J’avoue que je ne comprends pas cette justice. Pourquoi paie-t-on des impôts ? Pour assurer à chacun l’exercice de ses droits naturels, liberté, égalité, sûreté, propriété ; pour maintenir l’ordre dans l’état, pour créer des objets publics d’utilité et d’agrément. Or, est-ce que la vie et la liberté du riche coûtent plus à défendre que celles du pauvre ? De deux choses l’une : ou l’impôt proportionnel garantit et consacre un privilège en faveur des forts contribuables, ou il est lui-même une iniquité, car si la propriété est de droit naturel, comme le veut le décret de 93, tout ce qui m’appartient en vertu de ce droit est