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que le meilleur moyen de faire marcher une société, c’est de laisser faire à chacun ce qu’il sait faire, de laisser, autant que possible, l’ouvrier à son atelier, le laboureur à sa charrue, le marchand à son négoce, le poète à ses vers, le romancier à ses romans, le médecin à ses malades, et de confier le soin des affaires publiques à des hommes spéciaux pourvus d’une instruction et d’une expérience spéciales. Le principe contraire prévaut aujourd’hui, nous verrons ce qui en sortira. En tout cas, M. Proudhon ne doit pas être solidaire des conséquences, car il paraît peu favorable au principe, et je le crois imbu de cette vieille idée qu’on ne saurait bien gouverner sans avoir appris.

M. Proudhon n’est donc ni communiste pur comme M. Cabet, ni communiste mitigé comme M. Louis Blanc, ni fanatique du suffrage universel et de la démocratie comme le National, ni terroriste comme M. Blanqui. Voilà bien des points de ressemblance entre nous ; quelles sont donc les différences ? C’est ici le moment de faire connaître ses théories sur la propriété et ses autres idées sur la direction à donner à la révolution de février. Ici nous allons envisager le radical en face, et je vais être obligé de le combattre ; mais, ici encore, je contesterai beaucoup plus la forme que le fond.

Rien n’est effrayant, à première vue, comme le livre de la Propriété. Les épithètes les plus injurieuses sont accumulées contre la propriété et les propriétaires ; la propriété est injuste, elle est oppressive, elle est blasphématoire, et, qui plus est, elle est impossible. L’auteur démontre ces diverses propositions par toute sorte de raisons péremptoires, enveloppées d’un grand appareil de termes métaphysiques ; arrivez à la conclusion, et voici ce que vous trouverez : M. Proudhon ne veut pas qu’on soit propriétaire, mais il admet qu’on soit usufruitier ; il combat la propriété, il admet la possession. Toute la question entre lui et la société consiste donc dans la définition de ces deux mots : propriété et possession. La forme habituelle de son argumentation est fort simple, elle consiste à donner, aux mots qu’il veut ruiner, une signification absolue jusqu’à l’absurde, et il combat ensuite victorieusement ses hypothèses. C’est ainsi qu’il attaque moins, dans la propriété, la propriété elle-même que les abus de la propriété ; il fait du droit de propriété une sorte de monstre comme le dieu des Phéniciens qui se nourrissait de victimes humaines, et il veut abattre le monstre. Ses coups portent à côté de ce qui est.

En théorie, le droit de propriété n’est pas ce que M. Proudhon paraît supposer. Prenant au pied de la lettre le fameux droit d’user et abuser de la définition romaine, il paraît croire que le propriétaire s’arroge un droit illimité sur sa propriété ; cela est faux tout simplement et ne peut être soutenu par personne. Remontant à l’origine de la propriété, M. Proudhon prétend la détruire par le raisonnement que voici :