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ont mis à nu l’impuissance et l’inanité de la démocratie. Tout ce qu’elle possédait de vieux souvenirs, de préjugés philanthropiques, d’instincts communistes, de passions discordantes, de phrases sentimentales, de tendances anti-libérales, tout en un mois a été dépensé. » M. Proudhon en conclut qu’il n’y a plus rien à espérer du gouvernement par le suffrage universel ; me préserve le ciel d’aller jusque-là ! Puisqu’on a voulu essayer de la république, il faut que l’expérience se fasse complètement. Jusqu’ici elle n’a pas été heureuse, j’en conviens, et ce qui est arrivé n’a que trop confirmé les craintes des anciens conservateurs ; mais je suis trop bon Français pour admettre que tout soit dit en si peu de temps. Je suis moins ennemi du suffrage universel que M. Proudhon. C’est un mode qui a ses inconvéniens, mais qui a aussi ses avantages, comme toute chose. Je dois même dire franchement qu’à l’apparition de la république, je m’attendais à pis que ce que nous avons vu. Les mœurs publiques ont rectifié dans l’application ce qu’il y a de plus dangereux dans les procédés démocratiques. Grace à M. Ledru-Rollin et à ses commissaires, qui ont fait sentir au pays l’imminence du péril, la première épreuve du suffrage universel n’a pas donné de trop mauvais résultats. La tendance naturellement illibérale de la démocratie a été contenue par l’habitude de la liberté ; dix-huit ans du régime le plus libéral qui ait jamais été essayé avaient fait passer dans les veines du corps social cette salutaire habitude, qui a tout sauvé.

M. Proudhon lui-même, si radical qu’il soit, n’exclut pas tout-à-fait cette chance. « Si je fonde quelque espoir sur l’assemblée nationale, dit-il quelque part, c’est bien moins à cause de son origine et du nombre de ses membres qu’en raison des événemens qui ne peuvent manquer de lui porter conseil, et du travail de la raison publique, qui sera à l’assemblée nationale ce que la lumière est au daguerréotype. » Paroles excellentes, et que, pour mon compte, j’adopte complètement. Oui, comme nous disions autrefois, la véritable, la seule souveraineté réside dans la raison. Pourvu que la liberté de discussion soit maintenue, et tout permet de croire aujourd’hui qu’elle le sera, ce sera la raison publique qui dictera les décrets, l’assemblée nationale ne fera que les promulguer. Voilà M. Proudhon devenu franchement doctrinaire, et je l’en félicite. Quand on en est à ce point, la diversité des institutions politiques n’a pas beaucoup d’importance. Dans son langage bizarre, M. Proudhon donne le nom d’anarchie au régime qu’il préfère ; changeons le mot, et disons liberté, nous serons d’accord.

Je pourrais bien encore, si je voulais, citer quelques bonnes malices de M. Proudhon contre le gouvernement des poètes, des artistes et des romanciers, mais, encore un coup, je ne veux pas faire ici de personnalités. Quelque novateur qu’il soit, M. Proudhon paraît croire à l’efficacité de l’ancien principe de la division du travail. Il semble, en effet,