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sociale ; la démocratie est plus chère que la monarchie, etc., etc. » Parmi ces diverses propositions, il y en a sans doute de fausses ou du moins d’exagérées ; mais il y en a une qui menace de devenir trop vraie, si l’on n’y prend garde : c’est la dernière. Non-seulement l’avènement de la république a réduit de moitié la fortune nationale en arrêtant la circulation et le travail, mais elle nous promet une progression indéfinie de dépenses publiques, en même temps qu’une diminution non moins progressive de toutes les ressources. De plus, elle fait perdre au pays un capital énorme par la perte de temps qu’elle impose à toutes les classes de la société. Depuis le 24 février, qui est-ce qui travaille ? qui est-ce qui aurait le temps de travailler, quand même on en aurait les moyens ? N’entendez-vous pas à tout instant battre le rappel de la garde nationale ? Ne faut-il pas prendre son fusil et courir à son poste quand on aurait tout autre chose à faire chez soi ? Et les élections, ne faut-il pas aussi que tout le monde s’en occupe ? « Six millions d’électeurs, dit M. Proudhon, à 3 francs par jour et par tête, deux journées de temps perdu, 36 millions. » Et combien de journées perdues ainsi depuis trois mois ! Chacun de vos six millions de citoyens n’a pas perdu moins de trente ou quarante journées ; c’est une perte d’un milliard de plus à ajouter à toutes les autres. Jamais nation n’entreprit de se ruiner sur une plus grande échelle.

Le journal le Représentant du Peuple a donné à cette observation une forme vive et spirituelle, en supposant ironiquement que le gouvernement provisoire avait rendu dans sa libéralité le décret suivant :

« Considérant que le crédit public est détruit, que le commerce est mort, que le travail est désorganisé, qu’il est urgent de remédier par un moyen prompt et énergique aux maux de la patrie, le gouvernement provisoire décrète :

« Tous les jours de la république seront désormais des jours fériés ;

« La Bourse, la Banque, les tribunaux, l’hôtel des commissaires-priseurs, les magasins, les ateliers et autres lieux où l’on pourrait travailler, s’il y avait de l’ouvrage, seront fermés ;

« On passera des revues de la garde nationale et de l’armée tous les jours ;

« Le ministre des finances est chargé de l’exécution du présent décret. »

Dans les républiques antiques, les citoyens donnaient presque tout leur temps à la chose publique, ils étaient même quelquefois payés pour exercer leurs droits, comme l’ont été long-temps nos seigneurs des ateliers nationaux ; mais il y avait derrière eux tout un peuple d’esclaves qui travaillait pour eux et qui gagnait péniblement ce qu’ils dépensaient. Aujourd’hui, quand tout le monde est au club, à l’élection ou au corps-de-garde, personne ne travaille. La république fait de nous un peuple de fonctionnaires ; c’est très bien, mais qui gagnera l’argent pour les payer ?

« Trente jours de dictature, disait déjà M. Proudhon à la fin de mars,