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impétueuses et de luttes gigantesques, est venu mollement s’endormir du sommeil des mystiques. Baader et Jacobi, Schelling et Goerres, ces nobles penseurs, qui sont les seules gloires de l’université de Munich, ne sont, après tout, que ses hôtes, et, dans ce riche domaine de la philosophie, Munich n’a rien produit qui lui appartienne en propre. Chose étrange ! si paisible que fût leur mysticisme, si grande que fût leur aspiration vers le repos, ces belles intelligences ont effrayé plus d’une fois le pouvoir qui les avait accueillies ou appelées. Baader avait été installé à Munich pour être le chef d’une croisade religieuse contre la philosophie du Nord ; personne, en effet, n’avait plus nettement dénoncé certaines tendances funestes des grandes écoles d’Iéna et de Berlin. Il finit cependant par devenir suspect à un pouvoir qui lui demandait moins le vivant esprit du christianisme que les formalités mortes et les étroites puérilités du moyen-âge. Jacobi était trop audacieux aussi ; Schelling, dès qu’il a pu le faire, dès qu’il a senti la flamme s’agiter une dernière fois sous son front blanchi, Schelling est parti pour Berlin. Et Goerres n’a-t-il pas été obligé de redoubler de violence, en mainte occasion, pour faire oublier les grandes polémiques de sa libérale jeunesse ? Toujours le bien détourné de son but, toujours cette fatale influence que j’ai signalée !

Je ne voudrais pas être injuste, je serais désolé qu’on vît la moindre amertume dans mes paroles. Cette ville, je l’ai dit, contient des ressources considérables, et c’est précisément le mauvais emploi de ces ressources qui appelle un blâme énergique. Serait-on exigeant avec une cité vulgaire ? C’est le vrai mérite du roi Louis d’avoir fait de Munich un centre à qui l’on peut demander beaucoup ; c’est la faute immense de son règne d’avoir si mal dirigé les ressources qu’il créait, d’avoir, en quelque sorte, défiguré et perverti son œuvre. Songez à ce que pouvait faire un prince qui n’eût pas voué une haine absurde à la société moderne ! Je ne sais pourquoi, en voyant tant de promesses perdues, je me rappelle les beaux vers que M. de Lamartine adressait, en 1833, au prince royal de Bavière, à celui-là même qui, depuis le 20 mars dernier, a remplacé sur le trône le dilettante dont nous venons de juger les œuvres. Le prince Maximilien voyageait en Grèce, comme son père trente années auparavant, et M. de Lamartine lui disait :

Pèlerin inconnu des vieux sentiers du monde,
Quitter l’ombre et la paix des foyers paternels,
Se laisser dériver aux caprices de l’onde,
Vers tous les bords lointains qu’un nom fit éternels ;

Saluer d’une larme à travers sa ruine
Le temple de Minerve au lumineux fronton ;