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nous voyons clairement ce qu’elle renferme et de quelles vanités puériles est composé ce talent dont on nous promettait des merveilles. Le prince Louis, dès la fin de son premier volume, ne nous apparaît plus que comme un bel esprit sceptique, un grand seigneur blasé et prétentieux ; dépouillée de cette franchise, qui en était le seul attrait, sa poésie n’est désormais qu’un stérile bavardage, tout-à-fait indigne d’une critique sérieuse.

Voyez-le quand il monte, en 1825, sur le trône de Bavière ! C’est la troisième période de sa carrière poétique, et son recueil ici nous fournit tous les renseignemens désirables ; nous n’avons que l’embarras du choix. Le hardi poète ne dissimule aucune de ses antipathies contre cette royauté constitutionnelle que lui a léguée son père ; ce sont des lamentations sans fin sur l’importunité des affaires, sur la prose qui étouffe la poésie et les arts. Adieu à l’inspiration, adieu du moins à ce qu’il appelle ainsi, car, pour cette frivole intelligence, il n’y a rien de poétique dans le spectacle des choses présentes, et le travail des peuples, le progrès de l’humanité, le grand héritage enfin de la révolution, tout cela ne vaut pas les plates rimes d’un bel esprit. Adieu donc pour toujours aux pensées élevées, aux rêves généreux ; les représentans du peuple sont là qui ramènent son imagination sublime aux vulgaires soucis de la réalité. Oui, les députés viennent troubler le roi, la bête vient tuer l’esprit. C’est le roi lui-même qui emploie sans façon ces métaphores aimables ; mais citons-le tout entier, c’est bien le moins qu’on lui doive. La pièce porte ce titre : A propos de la session de la chambre en 1831.


« Le champ de la poésie est en friche, et l’Hippocrène nous est fermée. Le monde est envahi par la prose ; la poésie ne le bercera plus. Le monde est à la fois endormi et éveillé, froidement, tristement ; plus de poésie, plus de rires joyeux.

« Tout ce qu’il y a de haut, tout ce qu’il y a de magnifique ici-bas a disparu. Un rude sentier nous conduit désormais à travers un désert. Le cœur ne sentira plus comme il a senti jadis ; aucune illusion ne le nourrira plus. Le joyeux domaine des chants est devenu muet ; l’ame est opprimée par les choses vulgaires.

« Oui, désormais tout désir, toute action est basse et se traîne dans la poussière. Rien ne s’élève au-dessus de l’uniformité de la vie commune. La bête est devenue un maître insolent, et elle fait mille efforts pour tuer l’esprit. »


On sait que les poètes médiocres ont coutume de se plaindre de la barbarie du siècle : canimus surdis, c’est le lieu commun éternel ; mais il faut avouer que le roi Louis a su rajeunir d’une façon assez piquante les vieilles banalités de ses confrères. L’esprit tué par la bête est une image qu’il a su très bien placer, et ce petit mot, comme dit Molière, en dit beaucoup plus qu’il n’est gros ; D’autres pièces encore, la Vie du