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qui devient tout à coup un instrument politique si bien approprié à ses desseins. Malheureusement, ce qu’il a jugé à propos d’exprimer par ses actes et ses ordonnances, il ne l’a point dit en vers. C’est grand dommage pour nous. Je lis dans son recueil, à la date de 1818, une seule pièce assez instructive qu’il adresse aux artistes allemands à Rome. Ce sont surtout les deux plus éminens, les deux maîtres, c’est Cornélius et Owerbeck, qui ont inspiré le poète ; il les compare à saint Paul et à saint Jean. Cornélius avec la fougue impétueuse de son talent, c’est le grand et hardi saint Paul ; saint Jean, ce sera Owerbeck, grâce à la sérénité affectueuse, à l’inaltérable douceur de ses mystiques pensées. Quelle que soit l’emphase de la comparaison, ces éloges feraient plaisir dans la bouche d’un prince, si l’on ne voyait trop les intentions secrètes du royal protecteur. Un peu plus loin, en effet, il les appelle des hommes d’état. Hommes d’état ! voilà un mot qui le trahit. Seulement, pourquoi ne pas achever ? Pourquoi ne pas dire qu’il espère en cette renaissance de l’art du moyen-âge, afin de détourner les âmes des préoccupations du présent, afin de leur cacher la société du XIXe siècle, afin de semer l’indifférence et de rendre l’oppression plus facile ? Encore une fois, le poète est sobre en ces matières. Vraiment, on ne le croyait pas si diplomate, et l’on est tout désappointé de ne pas rencontrer plus de renseignemens sur l’impulsion qu’il a donnée aux idées romantiques. Ni le style, ni les pensées ne semblent conformes à cette restauration du moyen-âge qui l’occupait manifestement ; les allures de son langage n’ont pas changé, et l’auteur ne s’est nullement approprié cette forme naïve que Clément de Brentano et ses amis avaient dérobée aux artistes les vieux siècles. C’était pourtant l’époque où il réunissait déjà autour de lui tous ces esprits distingués, tous ces brillans élèves de Düsseldorf, qui devaient remplir Munich des reproductions du passé. C’était le temps où il concevait l’idée d’élever un temple aux grands hommes de la patrie allemande, et où il gâtait résolûment cette belle inspiration en favorisant les plus obscurs personnages du Xe siècle aux dépens des héros du monde moderne. D’où vient donc que ses écrits, sur ce point, portent si peu l’empreinte de sa pensée ? Ne nous en plaignons pas ; ce silence, après tout, est un fait significatif. Il me paraît évident que le royal écrivain ne croit guère à ces théories mystiques dont il daigne faire l’application dans l’état. Un jour, en 1840, on verra monter sur le trône de Prusse un prince qu’une instruction spéciale aura préparé à ce rôle de restaurateur du passé, et qui le remplira, pourquoi le nier ? avec un certain enthousiasme. N’en demandez pas tant à l’héritier du trône de Bavière, au poète dilettante, au vaniteux protecteur de Cornélius et d’Owerbeck. Cette généreuse ardeur qui éclate dans ses premiers vers, qu’était-ce autre chose que le feu de la jeunesse ? A mesure que son intelligence se fait mieux connaître,