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En persévérant dans cette voie, M. de Balzac pourrait retrouver peut-être ses anciens succès de roman. Qu’a-t-il manqué aux couvres dramatiques de notre époque ? Cette observation pénétrante, cet art de creuser jusqu’au vif et au vrai, ce sentiment de la réalité fécondée par l’invention. Or, toutes ces qualités, M. de Balzac les possède ; il n’a, pour les faire réussir sur la scène, qu’à les dégager de ce luxe stérile, de cette végétation parasite qui les a trop souvent appauvries et étouffées dans ses livres.

On ne saurait trop le redire, cette société si subitement ébranlée, rejetée, en quelques heures, loin de toutes ses perspectives, entraînée par le mouvement rapide qui précipite chacune de ses journées en face de l’imprévu, si elle consent encore à s’arrêter un moment pour écouter ou lire, sera impitoyable pour la médiocrité, impitoyable surtout pour ces vieilleries grimaçantes qui essaient de cacher leur rides sous le vermillon et le fard. Nous avons éprouvé avant-hier un vif sentiment de tristesse en assistant, à la Comédie-Française, à la première représentation, ou plutôt à l’exhumation d’une de ces déplorables œuvres. La Rue Quimcampoix n’est autre chose qu’un mélodrame intitulé : le Comte de Horn, que M. Ancelot fit jouer, il y a douze ans, à la Gaieté ou à l’Ambigu, et qu’il s’est contenté de rajeunir au moyen de quelques accessoires épisodiques et d’une succession de lignes rimées qu’il est seul capable d’appeler des vers.

La critique n’a rien à dire de ce mélodrame délayé en hémistiches, où tout est à l’unisson, le style, l’invention et l’intérêt, où tout révèle, non pas la précipitation ou l’erreur d’un talent fourvoyé, mais cette caducité désastreuse d’un esprit suranné sans jamais avoir été jeune, ruiné sans jamais avoir été riche. De pareils ouvrages, dont une administration plus régulière eût peut-être réussi à préserver la Comédie-Française, aggraverait encore les chances fâcheuses qui pèsent aujourd’hui sur le théâtre en général. C’est en se prêtant à ces tristes roueries de vaudevillistes aux abois, qui trichent le public sans l’amuser, et transportent la Bohème en Béotie, que la littérature justifierait les reproches que lui adresse le socialisme moderne, en la traitant de corruptrice, de baladine, d’amusement frivole et dérisoire à l’usage des sociétés vieillies ; car il est bon qu’on sache qu’il y a aujourd’hui des hommes qui, pour refaire à priori ce monde moderne livré par leurs doctrines à tant de périlleux hasards, n’ont pas assez de cette égalité sociale qui n’est qu’un paradoxe, de cette égalité pécuniaire qui n’est qu’une folie ; ils en veulent encore à ces distinctions de l’art et de l’esprit dont on avait jusqu’ici respecté la suprématie idéale ; et sur ce livre de l’humanité où ils voudraient ne plus trouver que des pages blanches, ils effacent non-seulement ce blason passager qu’y traçaient la fortune et la naissance, mais ce blason immortel qu’y ont gravé Raphaël et Dante, Shakspeare et Molière, Mozart et Byron. Barbares rétrospectifs, aspirant au vide pour y fonder le monde de leurs maladives rêveries, c’est en tarissant les sources de l’émulation, de l’intelligence, de la civilisation, qu’ils croient pouvoir féconder ces sillons inconnus où rien ne germe encore sous leurs mains fébriles.

Sans nous arrêter à faire ressortir tout ce qu’il y a d’impie et d’insensé dans ces théories destructives, remarquons seulement que ce doit être là, pour la littérature, un avertissement salutaire. Ces idées absurdes, personne peut-être n’eût osé les accréditer, ou seulement les laisser poindre, si nous ne venions de