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chose de révoltant dans le personnage de ce jeune homme qui est venu apporter sous ce toit la douleur et la honte, qui n’y vit que sous le bénéfice d’un triple mensonge, et qui, ne respectant ni ses souvenirs, ni ses espérances, ni la jeune femme qui l’a aimé, ni la jeune fille qu’il aime, livre les secrets de son premier amour pour assurer les destinées du second. Et Pauline ! est-elle bien acceptable ? C’est là, nous le savons, une des thèses favorites de l’auteur ; dans les existences les plus contenues, dans les ames les plus voilées, il aime à faire voir d’immenses trésors de dissimulation et d’énergie, lentement amassés pendant de longues heures de réflexion et de solitude. Cette donnée n’est pas impossible, et elle a l’avantage de mettre en scène une héroïne très différente du type ordinaire de l’ingénue de comédie ; mais cette tendance à tout grossir, qui semble inhérente au talent de M. de Balzac, ne l’a-t-elle pas conduit trop loin ? Une indication juste et rapide n’eût-elle pas mieux valu que cette insistance à nous peindre, à propos d’une jeune fille de vingt ans, une physionomie aussi complète du machiavélisme féminin ? La loi des contrastes, si indispensable au théâtre, ne conseillait-elle pas d’ailleurs à M. de Balzac de caractériser autrement le personnage de Pauline, d’opposer à cette belle-mère si dissimulée, si ardente, si implacable, une de ces pures et douces figures qui, sous la plume de Shakspeare ou de Goethe, sous les traits d’Ophélia ou de Marguerite, n’ont jamais paru, que je sache, trop monotones ou trop fades ? En nous montrant cette jeune fille aimante et naïve, forte seulement de son amour et de sa candeur, et luttant sans trop de désavantage contre tant d’astuce et de jalousie haineuse, l’auteur n’eût-il pas obtenu un effet plus dramatique et plus moral que par cette lutte à armes égales ?

Enfin, la logique même des caractères et des événemens n’a pas été bien observée dans cette seconde partie. L’intérêt, après avoir reposé tout entier, pendant les quatre premiers actes, sur Pauline et son amour, se déplace à la fin et se porte sur cette Gertrude, odieuse tout à l’heure, et maintenant accusée d’un crime dont elle n’est pas coupable. L’énergie avec laquelle elle se défend, l’horreur qu’elle témoigne pour ce crime, n’est pas en rapport avec les prémisses de ce rôle tout d’une pièce, et qui, d’après la donnée primitive, semblait ne devoir s’effrayer ni d’un empoisonnement ni d’un meurtre. On le voit, l’auteur n’a pas tiré parti de tous les élémens dramatiques dont il pouvait disposer. Il n’a pas distribué avec assez d’habileté les différentes parties dont l’ensemble eût pu former un beau drame ; il a cédé à cette espèce d’emportement qui le saisit d’ordinaire à un certain moment de sa composition, et qui lui fait perdre de vue le point où il faudrait s’arrêter ; et ce crayon qui avait commencé son œuvre avec précision et finesse, s’écrasant tout à coup sur la pierre, a poussé au noir les lignes délicates de l’esquisse.

N’importe ! c’est là, nous le répétons, une tentative digne des encouragemens de la critique ; elle marque un retour aux véritables sources du drame, non pas de ce drame extérieur, accidenté, semé d’aventures et de coups de théâtre découpés dans un roman-feuilleton, et dont le succès dépend du jeu des machines et de la mise en scène, mais du drame réel, de celui que renferment dans leur sein la société et la famille, avec ces déchiremens secrets qu’y apporte la perpétuelle antithèse des lois et des mœurs, des conventions et des passions.