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M. Ampère avait à parler de M. Guiraud, et la tâche n’était pas facile, car peu de physionomies littéraires sont aujourd’hui plus effacées que celle-là. M. Guirand figura dans cette première pléiade de poètes monarchiques, précurseurs de la rénovation poétique plutôt que rénovateurs eux-mêmes, et qui confondirent volontiers une sorte d’idéal chevaleresque et chrétien aux perspectives lointaines et pâlissantes avec la vraie poésie moderne, fille de nos douleurs, de nos doutes et de nos rêves, inaugurée par lord Byron, et glorieusement continuée, parmi nous, par Lamartine, Victor Hugo et M. de Musset. M. Ampère a loué son prédécesseur avec cette ingénieuse réserve qui laisse à l’éloge tout son prix en lui maintenant toute sa mesure, et s’interdit la flatterie pour ne pas discréditer la louange. Plusieurs traits pleins de sentiment ou de grace ont soulevé les applaudissemens d’un auditoire plus nombreux et plus attentif qu’on n’eût pu l’espérer au surlendemain du 15 mai. Sans tomber jamais dans le discours d’apparat, M. Ampère a trouvé moyen de rendre hommage à M. de Châteaubriand, à la mémoire de M. Ballanche, et tout le monde a ressenti une émotion sympathique, lorsque le récipiendaire, s’abritant sous le nom glorieux de son père, a fait, pour ainsi dire, de sa modestie personnelle un tribut à son légitime orgueil filial. Nous comprenions en ce moment qu’il y avait en dehors de toute législation et de tout sophisme une noblesse idéale, une hérédité de génie et de vertu, « main tendue à travers la tombe, »suivant la belle expression d’un illustre poète, et à laquelle rien ne saurait ravir ni ses prestiges ni ses droits. « Mon discours, avait dit en commençant M. Ampère, a été écrit sous la monarchie, et je n’ai rien trouvé à y désavouer sous la république. » Et, en effet, cette sereine indépendance, ce droit d’inamovibilité intellectuelle, pouvait être revendiqué par un esprit tel que le sien, noble esprit vers lequel le jour arrive constamment par en haut, et que le beau préoccupe sans cesse sous quelque forme qu’il se révèle, sous quelque voile qu’il se cache !

« Je pourrais, venait de dire M. Ampère, signaler dans le roman des chefs-d’œuvre de vigoureuse et saine originalité ; l’amitié me le conseille, mais votre directeur ne me le permettrait pas ; » il était impossible de louer avec plus de délicatesse et de grace l’auteur du Vase étrusque et de Colomba. M. Mérimée, dans sa réponse, d’une brièveté spirituelle, a montré toutes ces qualités d’élégance, de relief et de netteté, qui ne l’abandonnent jamais. Cette façon d’écrire, à la fois si sobre, si savante et si simple, que M. Mérimée applique avec tant de bonheur à l’archéologie comme à l’histoire, aux questions d’art comme au roman, peut servir à caractériser d’avance ce nouveau style académique, tel que j’essayais tout à l’heure de le définir, et qui, perdant cette majesté de cérémonial peu en rapport avec nos mœurs, deviendrait la langue des hommes lettrés, résumant à propos d’un contemporain les idées et les intérêts de leur temps. Ce serait là, pour l’Académie, une condition de vie nouvelle, d’influence relative, qui la maintiendrait au niveau des époques les plus progressives et sauverait la littérature sérieuse d’un double écueil, de cet isolement immobile qui transformerait ses travaux en exercices stériles ou frivoles, et de ces tentations dangereuses qui, la jetant à la merci de tous les caprices du journalisme et du pamphlet, altéreraient en elle ce sentiment du beau et du vrai dont elle est gardienne et dépositaire.