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lant, parce qu’il y a eu, ce nous semble, quelque noblesse, et comme un sentiment de force intérieure et d’idéale puissance, dans cette reprise de possession littéraire au milieu de l’indifférence générale. Ce n’était pas, à Dieu ne plaise ! une protestation, une bravade de bel-esprit contre des intérêts trop sérieux et des inquiétudes trop légitimes ; c’était, pour l’illustre compagnie, une façon de prendre date, de constater que tout ce qui s’appuie sur le libre développement de l’intelligence n’a rien à craindre du contact des événemens, de s’associer enfin à ces événemens mêmes, non pas en s’y mêlant avec cette avidité d’aventures dont quelques imaginations égarées nous ont donné de fâcheux exemples, mais en y concourant, pour ainsi dire, par la continuation d’utiles et ingénieux travaux. Remarquons en effet, et il y a lieu d’insister sur cette vérité plus que jamais méconnue, que ce n’est pas par leur empressement à se porter tous sur un même point que les esprits d’élite peuvent servir une société qui se renouvelle, mais au contraire par leur fidélité à garder le poste que leur assignent leurs tendances, leurs prédilections et leurs études. Humble ou splendide, laborieuse ou facile, cette tâche indiquée à chacun par ses aptitudes est plus utile à l’ensemble dont elle maintient ou complète l’harmonie, que cette témérité remuante qui court, tête baissée, se jeter au plus fort du groupe et ajouter au pêle-mêle. Disons aussi que c’est là une des gloires de la littérature élevée, que ses travaux, inaperçus quelquefois au moment même où ils s’exécutent, reprennent leur importance et leur valeur, lorsque la perspective s’éloigne, et qu’une appréciation plus juste ou plus calme rend à chaque fait et à chaque homme sa proportion et sa mesure. Tout ce qui est du domaine des passions, des agitations matérielles, extérieures, provoquées par le choc ou l’attente des événemens, absorbe les contemporains, mais s’amoindrit et s’efface à distance ; seule, l’idée survit, semblable à ces plantes frêles, mais vivaces, qui reviennent, chaque printemps, couvrir de leurs fleurs les ruines de nos monument écroulés.

On pouvait d’ailleurs être sûr que des hommes tels que M. Ampère et M. Mérimée n’abuseraient pas de cette première audience, et que leur tact les garantirait également de ces excès académiques qui eussent été cette fois doublement intempestifs, et de cette négligence dédaigneuse qui eût fait l’effet d’une désertion. Leurs discours sont, au contraire, des modèles de ce genre que les exigences de notre époque doivent substituer à l’ampleur des anciennes formules, et qui, sans rien sacrifier de la correction et de l’élégance, admettra, dans sa simplicité concise, des appréciations plus nettes, plus directes, quelque chose de moins convenu et de moins factice. Ainsi modifiés, les discours et les actes de l’Académie, au lieu de garder ce caractère de solennité qui les isole de la vie réelle, sauraient se façonner et s’assouplir suivant le mouvement de la société elle-même, non pas pour l’entraver, mais pour le juger ou le servir ; et il serait curieux, instructif, de méditer ces calmes procès-verbaux, dressés par des esprits éminens et réfléchis, sur toutes ces questions entraînantes qui passionnent et irritent la foule. C’est alors que l’écrivain pourrait jouer un rôle d’autant plus utile, que l’époque serait plus agitée, et cela sans sortir de sa sphère, sans se rabaisser à ces luttes du carrefour et de la rue, où le cri a plus de puissance que le mot, où l’exagération bruyante a plus de crédit que l’humble et salutaire vérité.