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réglé de complaisances avec les utopistes, dont ils empruntent çà et là les théories, pour jouer la profondeur dans leurs phrases. Administration, finances, industrie, tout souffre de ce double vice, tout est compromis par l’éloquence à faux et par les idées d’emprunt. M. Achille Fould, qui a vu de près nos financiers à la besogne, se présente aux électeurs de Paris en leur soumettant la critique raisonnée des mesures qui ont vidé le trésor depuis trois mois, une critique d’autant plus redoutable qu’elle est plus modérée. La plaie encore béante des ateliers nationaux ne témoigne pas beaucoup en faveur du talent des médecins chargés de la guérir, quoique M. Trélat semble pourtant annoncer aujourd’hui des intentions plus énergiques. Enfin il y a vacance sur vacance du haut en bas de l’échelle administrative, parce que le personnel fait défaut. Les choses en sont arrivées à cet état de tension intérieure où il devient de toute nécessité qu’elles se modifient. Nous ne croyons pas qu’elles puissent changer sans que ce changement soit heureux ; nous avons foi dans cette grande autorité de l’opinion qui pèsera chaque jour davantage sur l’assemblée nationale, qui la poussera quand même à prendre le timon tout-à-fait en main. Ce qu’on découvre avant tout dans ces douloureuses épreuves par où passe aujourd’hui la France, c’est le trésor de vigueur native qui lui permet de les supporter.


— Les temps de révolution sont souvent aussi des temps d’extrême injustice. Toute arme est bonne, on ne le sait que trop, pour les partis en lutte, et la calomnie se trouve à merveille de cette coupable tolérance : plus la mêlée est vive, moins elle ménage ses coups Heureusement la discussion équitable finit toujours par retrouver ses droits, et l’opinion, plus calme, est la première à casser les arrêts que la passion réussit quelquefois à lui surprendre. Un exemple de ces bienfaisantes réactions nous est donné dans une affaire dont il nous a paru peu convenable d’occuper prématurément nos lecteurs, mais sur laquelle nous n’avons jamais cessé d’attendre avec confiance les explications du principal intéressé. Notre confiance, nous pouvons le dire aujourd’hui, n’a pas été trompée. On n’a pas oublié que, peu de jours après la révolution de février, une accusation des plus graves fut portée contre un membre de l’Institut, contre M. Libri. Il ne s’agissait de rien moins que de livres et de manuscrits précieux soustraits par les moyens les plus honteux aux bibliothèques publiques de la France. On n’a pas oublié non plus sous quelle forme cette accusation s’était produite. Un rapport, qui n’était que le résumé minutieux des dénonciations anonymes recueillies à diverses époques contre la personne accusée de ces soustractions, avait eu les honneurs d’une insertion au Moniteur, qui lui donnait une sorte de consécration officielle. Les résultats confidentiels d’une investigation de parquet avaient acquis ainsi une notoriété scandaleuse et déplorable. Aujourd’hui nous savons à quoi nous en tenir sur la valeur de ces révélations ; nous avons sous les yeux la Réponse de M. Libri au rapport de M. Boucly publié dans le Moniteur Universel du 19 mars 1848. Cette réponse donne, sur les assertions contenues dans le rapport de M. Boucly, des explications qui nous ont pleinement satisfaits. M. Libri réfute le rapport paragraphe par paragraphe. À des bruits vagues, à des accusations anonymes, il oppose des pièces authentiques, des faits positifs ; il ne laisse rien sans explication, sans réponse, et découvre, selon