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elle tient à son droit de représentation nationale au moins autant que la commission exécutive à la supériorité de son office. De là toutes les vicissitudes par lesquelles a successivement passé le décret qui devait régler le mode de séance des cinq dans l’assemblée et investir l’assemblée d’un véritable commandement militaire. Les cinq tendaient, par un instinct que l’on comprend facilement, à s’isoler de la foule, et, par bien d’autres raisons encore, il leur plaisait peu que le’ président empiétât trop sur le pouvoir exécutif. Après tant d’amendemens et de sous-amendemens, tout ce qu’on peut dire du décret, c’est qu’il a passablement replâtré la situation. La situation, d’ailleurs, avait été déjà très vivement tranchée dans l’affaire encore ténébreuse de la garde mobile à cheval, et l’assemblée avait prouvé, avec une certaine vigueur, qu’elle n’était pas disposée à subir quand même le caprice des créations ministérielles.

L’assemblée n’est pas, il s’en faut bien pourtant, une chambre d’opposition ; sil est au contraire quelque chose dont elle ait peur, c’est de paraître irritable et irritante. Il y avait certainement plus de verve révolutionnaire chez les députés de 1831 qu’il n’y en a chez ces premiers nés de la république ; on peut en juger par l’accueil, du reste très mérité, qu’ils ont fait dans les bureaux à la loi du divorce. On sent qu’ils redoutent toute rupture violente, et, chose étrange, ils sont presque violens eux-mêmes pour empêcher la discussion et la fermer, par une clôture arbitraire, aussitôt qu’ils entrevoient dans la discussion quelque endroit trop scabreux. Certes il y avait beaucoup à dire sur la loi de bannissement, et le gouvernement n’avait pas assurément attaqué de franc jeu les auteurs de l’attentat du 15 mai, quand d’une main il fermait les clubs et proposait de l’autre un décret d’exil perpétuel contre la dynastie d’Orléans. La grande majorité de l’assemblée n’a pas voulu toutefois combattre sérieusement sur ce terrain ; elle a considéré comme un devoir politique ce que d’un autre point de vue on pouvait estimer une rigueur mauvaise, et ce devoir a même paru si pressant à des hommes dont personne ne voudrait contester la droiture, qu’ils l’ont accompli malgré les scrupules qui devaient leur rendre cet accomplissement pénible.

Juger définitivement l’assemblée sur ce qu’elle a fait, c’est encore chose impossible : nous voulons penser que beaucoup d’orateurs, trop pressés de se jeter en avant, nous cachent jusqu’à présent le fond solide et les talens vrais d’une réunion si considérable. Les comités et les bureaux vont sans doute produire peu à peu leurs capacités ; la réunion d’hommes nouveaux et indépendans qui se forme à la fois en dehors des anciens députés et des récens ministériels compte déjà plus de 200 adhésions ; nous avons bon espoir de ce côté-là. Enfin nous croyons fermement que les réélections du 4 juin vont amener de précieuses recrues. La candidature de sil. Thiers a gagné de plus en plus à mesure que les événemens ont montré davantage, dans l’accroissement des maux, l’utilité des esprits positifs. Cette candidature, combattue par les organes du gouvernement avec une précipitation trop acharnée pour être heureuse, s’est en quelque sorte défendue toute seule, et l’absence de M. Thiers en ces premiers momens où son aptitude eût été si nécessaire, n’a servi qu’à rendre son concours plus désirable et plus désiré. La peine à laquelle succombent les républicains de la veille, c’est la peine des affaires. Ils ne savent pas les affaires, ils les rêvent ou les déclament. Ils ne sont pas des hommes pratiques, ils sont des rhétoriciens en échange