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nalité l’état moral où flottaient tant de républicains de la veille, trop incertains le lendemain dès qu’il s’agissait de choisir entre deux républiques ; il est un homme qui a visiblement souffert de cette confusion qu’une politique à jamais regrettable avait laissée dans les intelligences, qui a lutté de son mieux, sans y réussir assez, pour démêler l’idéal républicain de la souveraineté du peuple des enveloppes grossières sous lesquelles il l’avait trop long-temps confessé, du corps matériel dont il s’était accoutumé, pendant quinze ans, à le revêtir, en prenant pour le peuple telle ou telle bande de conspirateurs. On voit que nous voulons parler de M. Caussidière. Nous n’avons rien à préjuger sur l’issue du débat qui menace de s’ouvrir au sujet des événemens du 15 mai entre l’ancien préfet de police et la commission exécutive. Ce que nous cherchons seulement à relever ici, d’après son témoignage, c’est l’indécision où s’agitait ce vigoureux caractère au milieu des événemens, par manque d’un principe qui le guidât entre ses vrais amis et ses vrais ennemis, entre ses relations, ses habitudes d’autrefois et ses obligations d’à-présent. On ne fait pas impunément de l’ordre avec du désordre, selon l’expression pittoresque de M. Caussidière ; on ne fait de l’ordre qu’avec du droit.

Le droit pourtant était clairement écrit dans la conscience publique, s’il était trop obscur dans la conscience vacillante de quelques individus trop ballottés par leur récente fortune. La révolution du 15 mai, c’est la démonstration magnifique de cette force infinie avec laquelle la conscience de tous peut parfois éclater à son moment, quand elle est révoltée jusqu’en ses profondeurs ; c’est l’avènement décidé de la garde nationale de Paris comme protectrice invincible du droit. Pareil élan ne se vit jamais dans l’histoire orageuse de la grande cité. Le ministre de la guerre quittait l’assemblée envahie pour aller chercher des ordres qu’il n’avait pu prendre sur lui de donner ; les colonels des légions attendaient des ordres qu’ils n’osaient pas prendre sur eux de prévenir. Les légions ont marché d’elles-mêmes, emportées par l’impulsion magique des heures de crise. Hommes de paix et de cabinet, convalescens ou vieillards, tous ont pris le fusil comme un seul homme, et s’en seraient servis comme des soldats. Cette ardeur n’avait pas pour unique mobile la pensée désespérante du néant qui s’ouvrait, si on laissait briser par des aveugles ou par des furieux la seule forme d’ordre et de société qui restât à la France ; cette ardeur était plutôt le courroux qui saisissait tout le monde en voyant un troupeau de factieux imbéciles s’imaginer qu’ils allaient dissoudre à coups de poing la représentation la plus absolue par laquelle la souveraineté du peuple se fût encore traduite en France ; c’était la colère provoquée par la violation du droit le plus irréfragable qui eût encore fonctionné chez nous.

Nous saluons avec bonheur ce symptôme, qui nous révèle dans la masse de la population parisienne une ame commune pour ainsi dire, une grande ame de citoyen ; nous désirons vivement que cette inspiration puissante vienne fortifier l’assemblée nationale, et passe de là jusqu’au gouvernement. Le gouvernement et l’assemblée nous semblent, par malheur, jusqu’à présent dans des relations assez épineuses, et nous n’oserions dire que le décret d’avant-hier ait mis un terme à toutes les difficultés en fixant définitivement les rapports de la commission exécutive avec les représentans. On ne peut se dissimuler qu’il existe un