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dans les hérésies agricoles auxquelles cette assertion le conduit, telles que celle-ci, par exemple : « L’agriculture permet de proportionner constamment la production aux besoins et aux ressources de la consommation. » Qui donc pourra établir cet équilibre dans une fabrique qui opère avec 24 millions de bras sur 52 millions d’hectares, et dont les résultats dépendent des saisons ? Pourquoi M. Louis Blanc ne nous donnait-il pas plus tôt son secret ? Nous aurions évité la mauvaise récolte de 1846, et nous aurions évité de produire en 1847 à tel point que les denrées ne se vendent pas aujourd’hui ce qu’elles ont coûté de main-d’œuvre. Nous avons commis la même faute pour la récolte de 1848, car elle s’annonce de manière à excéder de beaucoup les besoins et à faire baisser encore les prix, déjà trop bas pour rémunérer les travailleurs des champs à 1 franc par jour.

L’assertion de M. Louis Blanc répond à cette autre sentence : « On peut donner à l’agriculture un plein essor, sans craindre d’ajouter à l’encombrement des marchés et de déprécier les produits. » Mais ce qu’il y a d’aussi fort, c’est ce curieux paragraphe : « Le cultivateur vit sur le sol, des produits du sol, sans avoir besoin d’acheteurs. Son existence ne dépend pas, comme celle des ouvriers de l’industrie, des vicissitudes du commerce, des hasards, des crises politiques, de la fermeture d’un débouché lointain, d’une catastrophe imprévue. » La fabrique agricole n’a pas besoin d’acheteurs !… On croit rêver en lisant cela. Comment paiera-t-elle les impôts, les ouvriers qu’elle emploie, les objets fabriqués qu’elle achète à la ville, si elle n’a pas d’acheteurs ? Il est inutile de discuter de pareilles assertions ; ce serait douter du bon sens public. Revenons aux ouvriers qui manquent de travail dans l’industrie manufacturière, et qu’on ne saurait déverser trop tôt dans la grande exploitation nationale, l’agriculture.

Deux moyens se présentent : le premier, le plus grand, le plus promptement efficace, c’est de distribuer dans trente mille communes rurales tous les ouvriers qui accepteront une situation qui, au fond, serait meilleure que celle qu’ils ont dans les ateliers nationaux. Cette situation aurait surtout plus d’avenir, car rien n’empêcherait qu’elle se prolongeât assez long-temps pour que chaque individu, chaque famille pût se classer dans l’agriculture ou attendre la reprise des affaires industrielles. Voici, selon moi, comment il faudrait procéder à cette mesure de haute politique, de fraternité et d’économie publique.

Les conditions faites aux ouvriers qui se rendraient dans les campagnes seraient publiées dans toutes les grandes villes. Il leur serait accordé un mois pour les accepter, après quoi ils n’auraient plus droit à être admis dans les ateliers nationaux, qui seraient supprimés. Cette suppression serait juste, puisqu’on aurait offert en échange aux travailleurs le premier des ateliers nationaux.