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ses usages sont innombrables : il subvient à presque tous les besoins de la vie. Son fruit est le pain de l’Arabe ; aussi le palmier lui est-il cher comme le cheval et le chameau. L’Arabe dit que le palmier lui appartient, car il a conquis toutes les régions où croît cet arbre de Mahomet, qui prospère seulement dans les pays où l’on professe l’islamisme. D’après une légende musulmane, comme il restait un peu du limon dont Dieu avait pétri le corps de l’homme, il s’en servit pour former le palmier, qui est le frère de l’homme. Les dattes sont citées par Varron parmi les mets étrangers aimés des Romains, et on lit dans Grégoire de Tours qu’au VIIe siècle un cénobite des environs de Nice se nourrissait de dattes apportées par des marchands égyptiens[1], fait curieux pour l’histoire du commerce de l’Égypte avec l’Europe, continué à travers les plus sombres époques du moyen-âge.


Silsilis.

Ici le lit du Nil se resserre considérablement. Le nom du lieu, qui veut dire en arabe et voulait dire en égyptien la chaîne, semble indiquer qu’à une époque très ancienne les rochers de grès qui s’avancent très près l’un de l’autre des deux côtés du fleuve formaient une chaîne ou un barrage de l’un à l’autre bord. Dans l’état actuel, ce point est comme le Sund du Nil. Les canges que je vois s’y croiser me rappellent les voiles que je voyais, il y a dix-huit ans, courir entre les rives rapprochées de la Baltique. Quelle distance dans l’espace et dans le temps, et qu’un coup d’œil de la pensée la franchit rapidement !

C’est de Silsilis que sont sortis les monumens de Thèbes. A l’orient du fleuve sont des carrières, dont les parois, taillées à pic et d’une grande hauteur, n’offrent presque point d’hiéroglyphes. Nous avons erré quelques heures entre ces murs immenses, parmi ces gouffres à ciel ouvert, où nulle vie n’habite et où l’on n’entendait que la plainte étrange d’un oiseau invisible, pareille au bruit d’un instrument qui ferait crier la pierre. Cette solitude, ce silence sous un ciel brûlant, me portaient à rêver ; j’étais frappé de cette pensée que ce grand vide a été creusé pour en tirer les magnificences que j’ai naguère contemplées ; d’ici sont sorties les colonnades de Karnac, de Luxor, de Gournah, de Médinet-Abou, comme des enfans sortent des entrailles de leur mère, et moi j’étais à cette heure enfoui dans les entrailles profondes qui, déchirées pendant des siècles, ont enfanté ces merveilles de Thèbes.

Sur l’autre rive du fleuve, sur la rive occidentale, on trouve les parois des rochers et des grottes funèbres couvertes d’hiéroglyphes.

  1. Grég. de Tours, VI, 6.