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des pays affranchis n’aurait pas été troublée ; Charles-Albert n’aurait pas eu l’appréhension de guerroyer à son détriment, et de contribuer par une victoire à la ruine de son trône ; les Autrichiens seraient depuis long-temps acculés aux derniers retranchemens qui les couvrent aujourd’hui. Aujourd’hui les patriotes éclairés regrettent hautement que les municipalités lombardes se soient obstinées à perpétuer un provisoire désastreux. La république ainsi organisée ne pourrait délivrer l’Italie, à moins d’appeler les armées françaises ; ce serait alors recommencer l’histoire et blesser au vif l’honneur national de l’Italie ressuscitée. Mais comment soutenir une guerre d’indépendance avec cette division de toutes les forces et cet éparpillement de toutes les autorités que devait aussitôt produire partout le régime improvisé des républiques locales ? Il n’est pas de ville et même de village qui n’ait envoyé ses plus braves enfans à la croisade ; on n’a pourtant ainsi réuni que huit ou dix mille hommes de mauvais corps francs, et les volontaires trament çà et là dans leurs cantonnemens par petites divisions, jouant et buvant leur solde sans rien faire. A Padoue, à Vicence, les gouvernemens ont perdu la tête en présence du désordre et de la misère ; à Venise, on a tout gaspillé, argent, fusils, munitions ; l’armée de l’indépendance n’y a plus trouvé trace des immenses provisions de l’arsenal. Les corps vénitiens, qui viennent de réparer leur honneur, s’étaient d’abord sauvés honteusement au premier feu. Le corps romain de Ferrari, mal commandé par de petits maîtres, n’avait pas mieux réussi. Les troupes pontificales, sous les ordres du général Durando, rivalisent seules avec la brave armée piémontaise. Cette déconfiture militaire a fort ébranlé le parti républicain, et l’Italie se rallie chaque jour davantage autour du trône de Charles-Albert. Il n’y a qu’un grand état fortement campé entre le Pô et les Alpes qui puisse protéger à jamais l’indépendance italienne. C’est cette conviction qui va maintenant sans faiblesse et sans retour diriger les actes du gouvernement romain. La situation du pape est toujours la même : son peuple l’applaudit d’enthousiasme et lui désobéit de sang-froid. Les hommes qui avaient le plus fait pour confondre les deux pouvoirs dans cette sainte personne, afin de revêtir d’un caractère plus auguste la propagande patriotique dont Pie IX donnait le signal, les hommes qui avaient le plus soigneusement associé l’autorité du pontife à la politique du souverain, travaillent aujourd’hui à séparer le temporel du spirituel dans tout le régime de l’état de saint Pierre. Ils ne voient plus d’autre moyen de sauver la papauté sans perdre l’Italie. L’Italie avant tout ! Le programme avoué du comte Terenzio Mamiani, qui dirige en ce moment le ministère romain, c’est l’expulsion des Allemands, et même leur expulsion de tout le littoral de l’Adriatique à l’aide d’une alliance intime avec les populations dalmates.

Par un privilège qu’elle a d’ailleurs chèrement payé, la France n’a qu’à gagner dans ces profondes révolutions qui déplacent toutes les influences européennes ; l’Angleterre et la Russie ne peuvent que perdre. Aussi se tiennent-elles, jusqu’à présent, à l’écart, avec une attitude de défiance menaçante ou d’ombrageuse surveillance. Lord Minto est récemment arrivé à Londres, de retour du voyage diplomatique qu’il avait entrepris en septembre. Tout porte à croire que ses instructions ont été bien modifiées dans le cours de sa mission, et qu’elle n’a point fini sur des termes aussi libéraux que ceux sur lesquels