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barque. Comme je criais toujours : Je ne suis pas matelot, je suis maçon, l’on me mit de force sur la barque que je devais commander, avec des soldats pour me contraindre à être capitaine ; puis on me prit mon manteau, pour m’empêcher de fuir. Je leur disais : J’ai froid, rendez-moi mon manteau. Alors ils me prirent mes deux chemises, toujours pour me forcer à être capitaine ; mais je parvins à rattraper mes deux chemises, mon manteau, et je m’enfuis. » Je m’intéressais à ce pauvre diable, victime d’une tyrannie à laquelle j’avais échappé à grand’peine aussi bien que lui. Le pacha avait voulu faire de ce maçon un capitaine, comme de moi un mathématicien.

L’ombre est rare sur les bords du Nil, où dominent l’acacia, qui fournit la gomme appelée arabique, et le tamarisque au mince feuillage, célébré par les poètes arabes. C’est un trait des sites de ce pays, dit avec raison un des savans de l’expédition d’Égypte, M. de Rozière, d’être dénués d’ombrages sans être pourtant dénués d’arbres. Cela est assez triste ; un arbre sans ombre est un peu comme une fleur sans parfum. Le sycomore offre seul un épais et frais ombrage ; mais il est rare en Égypte, et, à mesure qu’on avance vers le sud, il le devient toujours davantage. L’ombre diminue alors qu’elle serait plus nécessaire. Je ne sais pas ce que Bernardin de Saint-Pierre aurait dit de cette harmonie de la nature.

La sensitive est douée dans ce pays d’une grande irritabilité. On sait que cette irritabilité singulière, qui lui a fait donner par les botanistes le seul nom gracieux qu’ils aient inventé, mimosa pudica, augmente avec la température, par l’action de la lumière, par la présence d’une sève abondante ; elle semble donc déterminée par des conditions semblables à celles qui excitent la sensibilité physique des animaux. Un dernier trait de ressemblance, c’est qu’elle est paralysée par l’éther.

Le palmier est le compagnon fidèle du voyageur qui descend ou remonte le Nil. La forme de ces arbres semble d’abord monotone, mais leur attitude et leur disposition varient à l’infini. Tantôt ils se groupent, en bouquets, tantôt ils s’allongent en allées ou s’étendent en forêts sur les bords du fleuve. La constance de leur forme ne lasse point ; l’œil s’y accoutume et s’y attache comme à une sorte d’architecture végétale qui plaît en raison de sa régularité. De même que les colonnes des temples égyptiens imitent souvent le palmier par la décoration de leurs chapiteaux, le palmier rappelle les colonnes par ses chapiteaux vivans.

Quoi qu’on en ait dit, le palmier, en Égypte du moins, se montre bien avant les tropiques[1]. Cet arbre est utile autant que poétique,

  1. A peine trouve-t-on le palmier au-delà des tropiques, dit l’agronome Tessier, Journal des Savans, t. II, 408. Il paraît que dans l’Inde le palmier ne croît que dans les régions tropicales où il n’y a pas de fortes pluies. — Lassen, Indische Alterthumskunde, 204..- Cela explique comment en Égypte, où il pleut très peu, le palmier s’avance plus au nord.