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d’être au monde, les cinquante sont restés en défiance ou en surveillance vis-à-vis des grandeurs déchues de la diète fédérale. Sur la proposition de M. Welcker, la diète avait invité, le 3 mai, tous les gouvernemens germaniques à s’entendre au plus tôt pour nommer en commun trois personnes qui, vis-à-vis de l’assemblée nationale, soutinssent leurs différens intérêts dans ce qu’ils avaient d’individuel, et remplissent provisoirement la charge de pouvoir exécutif pour toute la fédération. Cette mesure a soulevé un orage qui a duré jusqu’au dernier jour des cinquante. Il s’est fait protestation sur protestation ; les cinquante ne voulaient point accepter les trois délégués des princes sans concourir à les nommer : ils criaient au triumvirat, ils croyaient voir les cabinets dérober ainsi le pouvoir exécutif à la suprématie de l’assemblée constituante, en l’instituant eux-mêmes, au lieu d’attendre qu’elle en disposât. La diète s’est justifiée de ces soupçons, qu’elle ne pensait pas mériter, et qui se traduisaient dans les réserves formelles des cinquante. Elle a publié les explications offertes par M. Welcker dans sa séance du 10 mai, et les triumvirs vont décidément tenir auprès du parlement germanique l’emploi difficile qui leur est assigné. Ils seront de vrais ministres parlementaires et, qui pis est, intérimaires, mais dans une situation étrange ; ils auront à jouer leur rôle, pour le compte de tous les princes allemands à la fois, vis-à-vis d’une assemblée qui, en masse, ne doit rien à aucun prince ; ils auront à porter parole pour tous les trônes, pour tous les états pris séparément, vis-à-vis de la députation générale de tous les états pris en corps ; ils seront les agens communs de trente-deux cabinets grands, médiocres ou infiniment petits, vis-à-vis d’un pouvoir législatif dont ils dépendront quand même, parce qu’il s’élèvera au-dessus de tous les cabinets. Un tel enchevêtrement politique ne saurait se rencontrer ailleurs qu’en Allemagne, et l’on peut juger des complications qu’il faut vaincre par la complexité de l’instrument dont on use.

Les cinquante, les dix-sept, la diète elle-même, tout est d’ailleurs à présent dans l’ombre. Le 18 mai, la constituante germanique a ouvert ses séances elle siège désormais régulièrement dans l’église de Saint-Paul. La ville qui couronnait les empereurs du moyen-âge retrouve aujourd’hui d’autres pompes, et d’aussi solennelles, pour inaugurer l’ère moderne de l’unité et de la liberté ! Le Roemer, déjà consacré par les symboles de la société féodale, l’est une seconde fois par les idées d’un siècle nouveau. La lente succession des âges écrit ainsi ses profonds enseignemens sur les édifices du vieux Francfort. L’Allemagne du temps présent n’avait peut-être encore pas eu d’elle-même une conscience aussi vive, qu’en se retrouvant tout entière dans ces murailles où passa toute l’Allemagne d’autrefois. Du reste, il n’est pas besoin de remonter si haut pour observer maintenant à Francfort des changemens de physionomie qui ne laissent pas d’être piquans. Saint-Paul est loin d’avoir l’aspect qu’il offrait il y a deux mois, lorsqu’y siégeait l’avant-parlement. Les passions qui s’étaient produites à cette réunion préparatoire avec l’effervescence d’un début se sont calmées dans l’intervalle. Ce n’est plus cette vague ardeur qui n’avait pas d’objet précis ; ou sait mieux ce qu’on veut et ce qu’on peut. L’assemblée s’est beaucoup modifiée quant à sa composition, en traversant