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philosophie, on planerait assez dédaigneusement sur les limites factices inventées par les diplomates, et on les aurait bientôt effacées pour leur substituer une distribution des territoires plus large et plus simple. Race germanique, race latine, race slave, race gauloise, formeraient ainsi de vastes sociétés fraternelles qui absorberaient les petits états issus du vieux système d’équilibre. Si ces états, pourtant, donnaient aujourd’hui des preuves de leur consistance, si ces fondations, plus ou moins artificielles dans le principe, avaient acquis assez d’énergie propre pour durer dans ce renouvellement de toutes choses, le vieux système aurait alors gain de cause contre plus d’une rêverie. Qu’en pense-t-on à Francfort ?

Francfort est en ce moment redevenu, comme autrefois, un des théâtres de l’histoire. Là se discutera ce vaste établissement unitaire que l’Europe du milieu voudrait instituer pour organiser sa force. Là va siéger en permanence cette révolution allemande qui, éclatant depuis trois mois, tantôt sur un point, tantôt sur l’autre, doit enfin concentrer son action quelque part, pour coordonner et généraliser ses résultats. Cette révolution est en soi essentiellement politique ; le sentiment national y entre, il est vrai, par une pointe très vive, et elle fait sonner très haut les droits et les devoirs que les populations germaniques tiendraient de leur communauté d’origines. Au fond cependant l’impulsion de la race n’est pas à beaucoup près le mobile dominant qui la précipite. Elle est sortie tout armée d’un double besoin, besoin de liberté, besoin de grandeur. Le pacte de 1815 et l’acte final de 1820 avaient singulièrement épargné le moyen-âge dans la reconstitution dont ils dotaient l’Allemagne. De 1820 à 1840, les princes allemands avaient constamment lutté pour arrêter l’esprit moderne à leurs frontières et maintenir chez eux l’immobilité du statu quo. De la Vistule au Rhin, du Danube à la Baltique, le statu quo se résumait en ces deux points : les chartes libérales manquaient ou périclitaient ; les divers états, subordonnés à des puissances qui n’étaient pas exclusivement allemandes, ne formaient pas un tout qui comptât par lui-même en Europe ; il y avait une Prusse et une Autriche, il n’y avait pas une Allemagne qui pût, en son nom, prendre pied par les traités ou par la guerre. C’est contre ce statu quo que l’Allemagne n’a pas cessé de réagir depuis 1840 ; c’est ce statu quo qui a succombé définitivement depuis le commencement de 1848. Vienne, Berlin, Munich, Stuttgart, Carlsruhe, les Hesses, les Saxes, le Hanovre, se sont trouvés tout d’un coup lancés dans la voie des réformes démocratiques, et aussitôt qu’ils sont entrés en jouissance de leur émancipation particulière, ils ont été plus que jamais possédés du désir de créer à eux tous une autorité considérable, de se constituer vis-à-vis d’eux-mêmes et vis-à-vis de l’extérieur en un grand corps européen. Les mouvemens de Vienne et de Berlin ont abouti presque immédiatement à la réunion spontanée du parlement national de Francfort.

Le 31 mars, cinq cents notables sans mandat régulier, sans convocation officielle, arrivent à Francfort de tous les coins de l’Allemagne, poussés en quelque sorte par le cri de l’opinion publique. Ils délibèrent pendant trois jours en face de l’antique diète des diplomates, prise d’assaut et démantelée par cette seule manifestation de la souveraineté populaire, tant la manifestation