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toute sa conduite enfin très raide et très serrée, avaient fini par lui susciter un parti régulier d’ennemis redoutables. Les ultra-radicaux, les anciens meneurs des clubs qui ont pesé si rudement l’an dernier sur les affaires helvétiques, s’étaient groupés depuis quelque temps autour de M. Staemfli, qui aspirait à prendre bientôt la présidence du gouvernement bernois. M. Staemfli est un jeune avocat, le gendre du professeur Shell, radical qui va jusqu’au délire, et dont les idées auraient ainsi triomphé sur toute la ligne ; M. Staemfli ne devait être qu’un instrument. L’appréhension d’un pareil succès a suffi heureusement pour l’empêcher. Berne vient de renouveler son grand conseil et de renommer le magistrat qui doit présider à la fois et son gouvernement et la prochaine session ordinaire de la diète. Les élections se sont faites dans un sens très modéré. Les libéraux s’étant mis d’accord avec les conservateurs, les ultra-radicaux sont restés seuls, et M. Staemfli n’a eu que 55 voix pour la présidence contre 121 données à son compétiteur. La Gazette de Berne se venge de cet échec inattendu en accusant les partisans de M. Ochsenbein d’une idolâtrie servile ; n’a-t-on pas osé mettre son buste dans la salle du grand conseil, comme si c’eût été celui d’un roi ?

On ne saurait dire pourtant si M. Ochsenbein tient beaucoup à défendre son terrain dans le canton de Berne, et il avait même l’autre jour donné sa démission par impatience. C’est qu’il y a désormais un champ plus vaste qui s’ouvre devant les hommes politiques de la Suisse. Quelles que soient les limites auxquelles doive s’arrêter l’unité conquise dans la rapide campagne où le séparatisme a succombé, il est incontestable que l’influence particulière des cantons va baisser de beaucoup dans la direction des affaires générales. Selon le projet de constitution que la diète discute aujourd’hui, la république helvétique serait gouvernée par deux chambres formées à peu près sur le modèle américain et par un directoire exécutif de cinq membres, dont un président et un vice-président, sortis du parlement national. Il ne serait pas impossible que M. Ochsenbein, en vue de ces nouvelles perspectives, préférât maintenant à la faveur oppressive et mobile du peuple bernois la faveur du peuple suisse tout entier. La mesure qu’il apporte dans ses opinions est certainement conforme au goût de l’immense majorité ; la diète l’a bien prouvé par ses derniers votes. Berne exigeait que l’on nommât un comité de constitution au lieu de discuter en pleine diète le projet déjà rédigé ; Berne est restée seule de son avis avec Genève : la souveraineté cantonale s’est ainsi complètement réservée. Berne ne voulait qu’une seule chambre, la diète en a voté deux dans sa séance du 17 mai ; c’est un précédent qu’il est bon de noter pour notre usage. Nous voyons avec joie cet esprit de modération qui s’installe ainsi tout à nos portes, et qui règle si à propos des débats dont nous allons avoir nous-mêmes une édition agrandie. Nous souhaitons qu’il y ait là quelque influence contagieuse.

Le même phénomène s’est d’ailleurs produit en Belgique, sous le contrecoup des événemens de février. Dotés d’une constitution éminemment libérale par la révolution de 1830, les Belges se sont ralliés autour de cette constitution comme autour d’un drapeau national ; ils n’ont pas cru qu’il valût la peine de se lancer dans l’inconnu d’une république pour le seul plaisir de renverser la monarchie la plus commode qui fût jamais. Les dernières élections leur avaient donné la réforme politique pour laquelle ils avaient si patiemment