Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/779

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont ils la menacent, l’Angleterre tâchant à tout prix de resserrer les liens de la tutelle qu’elle s’arroge sur l’Europe du sud, dans la péninsule ibérique, à Naples et en Grèce, la Russie redoublant ses cruautés en Pologne, ses insolences en Romanie, ses intrigues à Constantinople. La guerre sera certaine aussitôt que l’une ou l’autre de ces deux puissances aura trouvé moins de péril à rompre qu’à temporiser. Tel est l’aspect général que nous présente la carte politique de l’Europe. Voyons-en de plus près les points principaux, et d’abord entrons un peu dans ces états secondaires que leur isolement calculé détache maintenant plus ou moins de l’ensemble du grand spectacle.

La Suisse est en train de se rasseoir : elle voudrait échapper à l’agitation universelle pour se remettre plus facilement et plus vite de cette commotion qui l’a si rudement ébranlée l’année dernière. Elle se renferme de son mieux dans l’œuvre qu’elle s’est donnée après la chute du Sonderbund. Tout appliquée à la révision du pacte fédéral, elle comprime à la fois, et les suggestions qui pourraient l’attirer dans les embarras extérieurs, et les embarras intérieurs qu’une nouvelle minorité radicale finirait bientôt par lui créer, en exploitant à outrance la victoire du radicalisme. Cette double pensée ressort avec une évidence singulière de l’attitude prise par la diète helvétique depuis qu’elle est rentrée en session, le 11 mai dernier. Par une vicissitude qui n’a rien d’extraordinaire pour ceux qui connaissaient la vraie situation des personnes et des choses telle qu’elle était il y a quelques mois, M. Ochsenbein se trouve aujourd’hui le promoteur le plus utile et le plus dévoué de ce système de modération. M. Neuhaus ne se trompait pas quand il affirmait naguère que l’homme le plus modéré qui restât après lui, pour diriger les affaires helvétiques, c’était encore M. Ochsenbein, le chef même du parti radical. La position de M. Ochsenbein n’en a pas moins été un moment très difficile. Il était le premier dans le gouvernement de la fédération suisse en sa qualité de premier magistrat du gouvernement bernois ; mais il avait perdu les bonnes graces de Berne, et c’est seulement dans la diète assemblée qu’il a retrouvé l’ascendant et la majorité qui lui avaient manqué au sein du canton directeur. Berne veut absolument une Suisse unitaire pour en être la capitale ; Berne, avec cette ambition qui la pousserait à tout centraliser, ne demanderait pas mieux que d’exercer une action au dehors ; elle eût répondu de grand cœur aux offres d’alliance de la Sardaigne. On se rappelle comment M. Ochsenbein a repoussé ces offres ; la publicité s’est emparée malgré lui des séances secrètes de la diète du 14 et du 18 avril. Quant au système de centralisation, satisfait pour sa part du progrès réalisé dans le projet de constitution fédérale émané de la commission préparatoire dont il était membre, M. Ochsenbein a vigoureusement combattu dans le sénat bernois tous les amendemens qui ruinaient l’individualité des cantons. Berne entendait introduire une unité inexorable dans le service militaire, dans les douanes, dans les postes, dans l’administration de la justice ; elle prétendait tout concentrer, sans indemnité, sans compensation, de par la seule vertu du droit révolutionnaire, au nom de la seule logique. M. Ochsenbein s’était opposé résolûment à ces tendances excessives de ses concitoyens : la diète lui a donné raison contre eux.

Cette opposition qui paraissait peut-être inconséquente dans sa personne, ses allures un peu dictatoriales, sa manière même de dire : « Je ne veux pas ! »