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bienfaits de la loi, est le seul qui n’en supporte pas les charges, le seul qui ne doive point à l’état l’impôt direct. L’une de ces mesures est de nécessité urgente. Oui, il est possible et il faut, sans retard et sans regret, que les boyards moldo-valaques sacrifient à la prudence et à l’équité leur exemption de l’impôt. C’est un sacrifice indispensable et profitable, à l’aide duquel ils éloigneront de leurs têtes des griefs trop légitimes et pourront seconder par des travaux d’utilité publique la fertilité de leurs champs. C’est un capital placé à un taux inconnu, mais immense. Ils ne sembleront qu’acquitter une dette, ils s’enrichiront. Quant à déclarer par une résolution immédiate leurs paysans propriétaires et à les dégager de toute prestation en nature, ils ne peuvent se priver si brusquement de la main-d’œuvre gratuite sans que la culture de leurs domaines n’ait tout d’abord à en souffrir. Le travail des corvées est certes un travail peu productif, et l’on a calculé que le temps s’y gaspille dans la proportion de quatre-vingts jours pour cent ; mais tout autre travail est actuellement incapable de suffire aux nécessités du pays, et les cultivateurs, devenus maîtres chez eux, satisfaits de tirer de quelques arpens de terre assez pour vivre à l’aise, n’éprouvant pas encore le besoin du luxe, ne mettraient peut-être guère d’empressement à labourer, même à bon prix, la terre du boyard. Les boyards sont donc, dans une certaine limite, autorisés, en vue d’un intérêt qui est à la fois public et privé, à demander qu’on leur donne le temps de se prémunir contre les inconvéniens du travail libre. Ils sont autorisés à demander des délais pour cet affranchissement complet de la classe agricole, à la condition qu’ils commenceront, sans hésiter, l’œuvre de réforme et prendront l’engagement formel de marcher de degrés en degrés à ce but suprême de l’égalité civile. Il n’est point, pour les deux principautés roumaines de la Turquie d’Europe, d’autre moyen d’échapper au débat anarchique des problèmes sociaux si rudement posés naguère par les paysans de la Gallicie. L’avantage ne serait pas seulement d’éviter des maux présens, ce serait aussi et surtout de préparer à l’avenir des voies faciles et magnifiques, de donner une vivifiante impulsion à la fécondité du sol, et enfin de réunir et de resserrer, par le rapprochement des classes, cette nationalité roumaine qui n’a besoin que d’union pour marcher bientôt au pas des idées de l’Occident. C’est le devoir et ce sera l’honneur des patriotes roumains d’y pourvoir, et s’il est vrai que l’intérêt roumain soit aussi l’intérêt ottoman, s’il est vrai que la Moldo-Valachie puisse être le boulevard de l’empire du côté des Russes, s’il est vrai que la Turquie soit à deux doigts de sa perte dès que les deux principautés sont faibles et envahies, il est naturel et il est nécessaire que le sultan seconde ce mouvement social et politique de toute la puissance que lui laisse encore son droit de suzeraineté.

La position des Osmanlis en face des deux peuples qui habitent les