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qui tendent à renouveler non-seulement les bases de la constitution des états, mais aussi le code tout entier du droit des gens.

Les populations slaves ou roumaines de la Turquie d’Europe ont d’ailleurs un autre appui pour cette lutte périlleuse : c’est le concours des Turcs, intéressés à s’affranchir de la même influence russe qui, depuis Catherine II, pèse d’un poids si lourd sur les destinées de l’empire ottoman. Il y a long-temps que le sultan a cessé d’être un épouvantail pour ses vassaux et ses sujets, et a senti la nécessité impérieuse de gouverner par la clémence. Des animosités séculaires, des haines de race plus encore que de religion se sont ainsi calmées, après la guerre hellénique, à la faveur d’une politique conciliante. Les chrétiens n’ont pas tardé à reconnaître les bonnes intentions que l’intérêt et le devoir conseillaient aux musulmans, et l’union s’est accomplie au profit de tous, dans un sentiment de défense commune contre un ennemi commun. Les Turcs, trop souvent intimidés par la diplomatie russe et trop peu soutenus par la nôtre, n’ont point fait bruit de cette union ; mais les chrétiens, moins réservés, avouent hautement leurs sentimens et ne négligent point les occasions de donner aux Russes des preuves de défiance, aux Turcs des témoignages de leur dévouement politique.

Ce dévouement ne peut pourtant pas aller jusqu’au sacrifice des intérêts de la nationalité et des libertés publiques des deux peuples chrétiens du Danube. L’alliance, au contraire, n’existe qu’à la condition que les Osmanlis se prêteront à ce mouvement nécessaire et juste qui entraîne les Moldo-Valaques et les Illyriens vers l’avenir rêvé par eux. Nationalité et liberté, voilà les deux grands faits qui cherchent à se dégager du chaos des races et des lois, et dont la Turquie doit reconnaître la légitimité et seconder le développement. Son ascendant politique et son propre salut sont à ce prix.

Nous avons essayé d’exposer l’histoire de ces efforts obscurs ou éclatans par lesquels, d’un côté, les Illyriens, c’est-à-dire les Bulgaro-Serbes, les Bosniaques et les Monténégrins, unis de cœur aux Croates, aux Sclavons et aux Dalmates de l’Autriche ; de l’autre côté, les Roumains ; c’est-à-dire les Moldaves et les Valaques unis avec les Transilvains, les Bucovinois et les Bessarabes, tendent à la régénération de la race illyrienne et de la race roumaine. Il nous reste à dire quels sont leurs besoins et leurs vœux sociaux, ce qu’ils souffrent et désirent non plus comme peuple, mais comme hommes, de quelle manière ils entendent la propriété et la liberté civile, les principes fondamentaux de la vie individuelle et sociale. Ces questions de propriété et de société ont, dans la Turquie d’Europe, une importance de premier ordre, car elles dominent le sentiment de race, et, ajournées ou résolues, elles rapprochent ou éloignent, dans des proportions décisives, le danger que le mouvement des races peut faire courir un jour à l’empire ottoman. Il est donc