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de notre civilisation ? Cette idée a jadis arrêté l’Angleterre quand elle projetait de déporter ses convicts en Amérique ; elle a craint pour les nègres de funestes exemples. Puis, que diraient les honnêtes colons de l’Algérie à la vue de cette colonie nouvelle dont les doterait la mère-patrie ? N’auraient-ils pas lieu de s’écrier avec Francklin : « En vidant vos prisons dans nos villes, en faisant de nos terres l’égout des vices dont les vieilles sociétés de l’Europe ne peuvent se garantir, vous nous avez fait un outrage !… Eh ! que diriez-vous si nous vous envoyions des serpens à sonnette ?… »

Quels condamnés d’ailleurs pourrait-on déporter ? Cette mesure ne pourrait s’appliquer qu’aux condamnés à vie, à l’amendement desquels on devra renoncer. Quant à ceux qui doivent rentrer dans la société à l’expiration de leur peine, et que l’on doit par conséquent chercher à améliorer, à quoi servirait de les déporter ? Si vous les mêlez où que ce soit, vous les corrompez, et le bagne, pour être déplacé, n’en reste pas moins le bagne.

On a cité l’exemple de l’Angleterre et parlé souvent de ses colonies pénales. L’exemple n’est pas entraînant. On reconnaît aujourd’hui, dans la Grande-Bretagne, que le régime de la déportation, outre qu’il est excessivement dispendieux, n’a pas eu le résultat qu’on en avait attendu. Après une expérience de cinquante ans, poursuivie avec une persévérance, une entente que nous n’apportons guère en France dans l’exécution de nos projets de colonie, après des déboursés énormes, l’Angleterre s’aperçoit maintenant qu’elle a empoisonné, sans améliorer les condamnés, le pays où elle les a déportés. La terre de Van-Diémen et l’île de Norfolk ont été, dans ces dernières années, le théâtre de désordres si épouvantables et d’une telle nature, que le gouvernement dut envoyer, le 30 septembre 1846, l’ordre de dissoudre ces colonies. Plus récemment lord Grey s’écriait à la chambre des lords que « c’était une honte pour le nom anglais qu’un tel système pût être protégé par le pavillon de la Grande-Bretagne. » Voilà où en sont les choses chez nos voisins. Le gouvernement a saisi le parlement d’une proposition qui a pour objet de substituer à la déportation un système combiné d’emprisonnement cellulaire, de travaux publics en commun et de bannissement. C’est donc au moment où l’Angleterre renonce à la déportation que nous songeons à la décréter chez nous. Ne semble-t-il pas qu’en bien des choses nous arrivions toujours à un demi-siècle de distance ?

Quoi qu’il en soit, nous espérons que l’attention des représentans du pays ne se portera pas en vain sur la question qui vient de nous occuper, et nous rappellerons en terminant cette grave parole qu’il est bon de faire entendre en ces jours de progrès : « Voulez-vous connaître le degré de civilisation d’un pays ? regardez ses prisons !

Alexis de Valon.