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plus ardent que lorsqu’on l’exige. Ce métier, qui doit assurer leur avenir, ne prend pas toutes les heures de la journée. L’éducation de l’esprit a ses momens. Grace à une ingénieuse méthode, un instituteur[1] donne à trente détenus séparés les uns des autres des leçons simultanées de lecture, d’écriture, d’arithmétique. En 1846, sur 225 condamnés, 11 seulement savaient lire et écrire à leur entrée à la Roquette. A leur sortie, ces chiffres étaient renversés ; tous, hormis onze, savaient lire, écrire, beaucoup dessinaient, tous savaient un métier ; 180 avaient fait leur première communion. En quittant le pénitencier, ces enfans dont le nom, remplacé par un numéro, est un mystère pour tous, excepté pour le préfet de police, ces criminels dont le passé coupable est enfoui dans l’oubli, soigneusement caché à la société qui les reçoit de nouveau, ces jeunes hommes qui ne se connaissent pas les uns les autres, qui ignorent absolument quel a été pendant plusieurs années leur voisin de cellule[2], trouvent un appui qui va les soutenir encore. C’est une association d’hommes charitables qui, sous le nom de « société de patronage, » va surveiller leurs débuts et guider leurs premiers pas. On les introduit dans les ateliers, quelquefois dans les régimens ; tel brave soldat qui porte le signe de l’honneur sur la poitrine a été condamné jadis et détenu à la Roquette, sans que personne s’en doute. Je pourrais ajouter que tel élégant dandy, tel jeune gentilhomme accompli, qui fait maintenant la joie de sa famille, a expié à la Roquette, sans que nul en sache rien, et sur la demande de ses pareils, les fredaines de sa jeunesse.

Je ne sais ce que la république fera de plus pour les jeunes détenus. En attendant, par un simple décret, elle a désorganisé cet établissement, qui était un bienfait pour Paris, et je ne sache pas qu’elle ait songé à une organisation nouvelle. Le travail est suspendu sans doute à la Roquette comme ailleurs. Or, je l’avoue, quand je songe à ces pauvres enfans que le travail conduisait au bien, dont l’éducation était à moitié faite, dont l’avenir semblait assuré, et que je les vois aujourd’hui condamnés à l’oisiveté, c’est-à-dire au vice, oui, je l’avoue, mon cœur se soulève d’indignation. Seuls dans leur cellule, sans travail,

  1. Parmi les employés de la maison qui m’accompagnaient durant ma visite, je remarquai un jeune contre-maître dont la physionomie intelligente me frappa. On m’apprit que c’était un ancien détenu. Il avait fait partie de dix-sept associations de malfaiteurs. Par sa bonne conduite, il avait mérité de devenir, après l’expiation, à son tour moniteur dans le pénitencier. Sur son traitement, il nourrissait sa mère et sa jeune soeur. Tous les détenus ne finissent pas ainsi, il faut en convenir. Il serait absurde de rêver une sorte d’El Dorado pénitentiaire où tous les repris de justice deviendraient des modèles de vertu, mais on peut affirmer que la cellule améliorera le plus grand nombre des détenus et n’en rendra pas un seul plus mauvais : ce n’est point un mince résultat.
  2. Le gardien en chef de la prison de Philadelphie reconnut un jour sur les quais six de ses anciens hôtes travaillant ensemble, et il s’assura qu’aucun d’eux n’avait connaissance de l’emprisonnement de ses camarades.