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le pénitencier, les détenus de la prison commune (qui existait encore) avaient été presque tous atteints, tandis que ceux des cellules avaient été épargnés presque tous ; le produit du travail avait doublé.

Les bons résultats, comme on voit, ne s’étaient pas fait long-temps attendre, et l’on peut dire que depuis cette époque les progrès ont été continus et constans. Le chiffre de la mortalité, bien qu’il n’ait pas dépassé celui des maisons centrales, avait semblé d’abord considérable ; il a toujours été diminuant. De 12 pour 100 en 1840, il était arrivé, cinq ans plus tard, à 4 pour 100 seulement ; cette grande amélioration a été attribuée en grande partie aux promenoirs. Dans la vie en commun, la table de la mortalité présente une progression dans le sens contraire ; les décès, en 1839, avaient été de 13 pour 100.

Nous avons dit déjà que, depuis dix ans, sur une population permanente de 500 détenus, on n’avait pas constaté à la Roquette un seul cas d’aliénation mentale.

Si l’on considère le résultat moral, on a lieu d’être plus satisfait encore. J’en appelle à tous les hommes de bonne foi qui ont visité les cellules de la Roquette : quelle impression en ont-ils rapportée ? Qu’ont-ils vu ? Pour ma part, je le déclare, ma première visite dans cette prison a décidé dans mon esprit la question pénitentiaire ; elle a inspiré toutes mes convictions. Voici ce que j’y ai vu.

Dans chaque cellule proprement blanchie, soigneusement frottée, convenablement chauffée l’hiver par un calorifère, rafraîchie l’été par un ventilateur, renfermant un lit, une table, une chaise, un établi, des livres élémentaires d’histoire et de morale, j’ai trouvé un enfant non point pâle et triste, comme on l’a dit, mais frais, vif et occupé. Le regard de ces enfans, ceci est un point remarquable, est clair, franc, confiant ; il contraste singulièrement avec ces regards de bêtes fauves, chargés de méfiance, d’astuce, de haine, qui vous suivent et vous navrent dans les préaux des maisons centrales. Ces enfans causent avec vous volontiers, avec abandon. On voit avec plaisir que ces criminels de quinze ans, qui ont vécu sans famille, ou, qui pis est, dans des familles infames, et dont l’enfance n’a pas eu la notion du bien et du mal, ne sont point étrangers aux idées de la saine morale. Ne sachant rien à leur arrivée, ne voulant rien apprendre, se renfermant les premiers jours dans une stupeur profonde, dans un mutisme entêté, ils ont eux-mêmes demandé, au bout de quelques jours, les outils qu’on leur avait inutilement proposés. Un contre-maître alors est venu leur enseigner le métier pour lequel ils montrent le plus de goût ou d’aptitude. On en fait des apprentis ciseleurs sur cuivre, des ébénistes, des doreurs sur bois, des tourneurs, des serruriers, des cordonniers, etc., et beaucoup d’entre eux deviennent en peu de temps des maîtres-ouvriers, car il est démontré que le travail dans l’isolement sollicite l’attention beaucoup plus que dans la vie en commun, et que, facultatif, il est beaucoup