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resté chez eux beaucoup de l’égyptien. Souvent j’ai cru reconnaître, surtout chez les femmes, les originaux de ces petites statuettes trouvées dans les tombeaux, et qui sont les portraits des anciens habitans de l’Égypte. Un ânier offrait exactement le profil de Sésostris. La race égyptienne paraît avoir produit les fellahs d’une part et de l’autre les Coptes[1]. Les uns et les autres rappellent à certains égards les anciens Égyptiens. Ce sont deux altérations d’un même type qui se sont produites dans des circonstances différentes et par des mélanges divers, dont plusieurs élémens nous sont inconnus, mais où l’élément arabe semble être entré pour bien peu. Cette antique race égyptienne elle-même, qu’était-elle ? On est revenu de l’opinion qui en faisait une race nègre[2]. Ce qui paraît le plus probable, c’est qu’elle a été de bonne heure altérée par le contact des populations éthiopiennes. Ainsi peuvent s’expliquer certains traits de la figure de quelques Pharaons et l’expression d’Hérodote qui dit des Égyptiens que leur couleur est noire et leur chevelure crépue. Plus on remonte le Nil et plus on trouve de ressemblance entre les populations qui vivent aujourd’hui sur ses bords et la race antique, telle que les monumens la représentent et que les momies l’ont conservée. M. Caillaud, en voyageant dans la haute Nubie, était à chaque instant frappé de ces ressemblances. Larrey a trouvé les crânes des momies fort semblables à ceux des Nubiens actuels. Ceci tendrait à confirmer l’opinion généralement établie d’après laquelle la race égyptienne serait descendue de l’Éthiopie en suivant le cours du Nil. J’admets volontiers la vérité de cette opinion ; mais je suis loin d’en conclure, comme on l’a fait souvent, que la civilisation égyptienne a suivi la même marche et qu’elle aussi est descendue de l’Éthiopie jusque dans la basse Égypte. La civilisation égyptienne, j’en suis convaincu, a au contraire remonté le cours du Nil. Memphis a précédé Thèbes. Les monumens de l’Éthiopie, les pyramides de Meroé, par exemple, qu’on avait crues le type primordial des pyramides d’Égypte, ont été démontrés incomparablement plus récens ; l’époque de leur construction ne saurait être reportée au-delà de l’époque grecque. L’Égypte a donc été peuplée par le sud et civilisée par le nord. Il n’y a là aucune contradiction. Autre chose est la racine d’un peuple, autre chose son épanouissement. En Grèce, les Pélasges et les Hellènes sont venus du nord ; cependant le sud de la Grèce a été civilisé le premier ;

  1. C’est du moins l’opinion du savant docteur Pruner. (Die Uberbleibsel der alten AEgyptischen Menschen-race.)
  2. Blumnenbach, Cuvier, Soemnering, les docteurs Leach, Morton, etc., ont formé des collections de crânes égyptiens, et leurs inductions s’accordent parfaitement sur ce point, que la formation ostéologique des têtes de momies appartient essentiellement au type caucasien, et ne présente notamment aucun des caractères du type nègre. (Bulletin de la Société ethnologique, t. I, 21.)