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exemples. Dans les maisons centrales en effet, comme au bagne, le contact du vice propage toutes les maladies morales. On peut le dire, tout condamné qui entre dans une maison centrale, s’il est sain, se gangrène ; s’il est gangrené, se pourrit. La preuve de cette triste assertion, c’est que le chiffre des récidives pour ces maisons est, d’après quelques rapports, de 25 à 30 pour 100, de 41 pour 100 d’après d’autres rapports, c’est-à-dire le tiers au moins, sinon la moitié ! La preuve encore, c’est que les bagnes recrutent là leur population. L’an dernier, sur 1,327 forçats entrés à Rochefort, à Toulon ou à Brest, on a compté 551 condamnés sortant des maisons centrales. Dans la prison de Philadelphie, je reviendrai sur ce chiffre, les récidives sont de 4 pour 100 au lieu de 30 !

Voilà pour le moral des prisonniers, voilà pour la garantie de la société. Croit-on maintenant que les désordres qu’engendre la vie commune, que facilite une grande réunion d’hommes débauchés, que l’air épais et empoisonné qu’ils respirent dans ces établissemens trop peuplés, n’aient pas sur la santé des détenus une funeste influence ? Consultons la statistique encore une fois. Dans les maisons centrales, la mortalité est, pour les hommes, de 1 sur 13, pour les femmes, de 1 sur 14 ; elle est de 1 sur 6 dans certaines maisons, tandis que dans la vie commune elle est, de 1 sur 41[1]. Voilà le côté humanitaire de la question. Dira-t-on que les prisonniers sont soumis à des influences locales, sujets à des maladies qui n’atteignent pas l’homme libre ? D’accord ; mais comment se fait-il que, dans la prison de Philadelphie, la mortalité, les nègres mis hors de cause, soit moins grande non pas seulement que celle de nos maisons centrales et de nos bagnes, mais que celle de nos régimens, qui sont composés de l’élite de notre population ?

En présence de chiffres aussi significatifs, il y avait urgence, comme on voit, à réformer notre système pénitentiaire. Tel qu’il était pourtant, s’il renfermait une bonne chose, c’était assurément le travail ; le travail était à la fois une saine distraction, une garantie d’ordre, une bonne habitude ; c’était le seul moyen employé de répression et d’amendement ; c’était une bonne préparation pour l’avenir. On avait pensé que le détenu, après quelques années laborieusement employées, serait mieux préparé à la vie active, probablement pénible, qui l’attendait au sortir de prison, s’il voulait rentrer dans le chemin de la vertu. Il était regrettable sans doute que les détenus, au lieu d’apprendre chacun un métier qui devînt plus tard un gagne-pain, fussent employés dans les maisons centrales plus souvent comme moteurs, comme machines ou comme rouages de grandes industries ; mais enfin du soir au

  1. Rapport de M. Béranger à la chambre des pairs.