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solution de cette grave question pénitentiaire que l’on agite depuis dix-huit ans, que l’on a discutée souvent avec tant d’éclat, et qui promettait d’aboutir cette année même à un tout autre dénoûment. Ce décret, signé sans doute à la hâte et sans réflexion, annihile en un trait de plume les voyages, les études, les livres, les discours, les observations qui ont coûté vingt années aux hommes les plus compétens de l’Europe en cette matière. Ce décret anéantit tous les systèmes et remet tout en question. Sous prétexte de progrès, il nous ramène aux temps barbares. Le travail en effet, c’est l’ame de tous les systèmes pénitentiaires ; le travail, c’est à la fois l’amendement, la punition, la consolation et l’avenir du détenu, soit qu’il habite une cellule, soit qu’il vive dans une prison commune. Sans le travail, nous le montrerons bientôt, l’emprisonnement devient une loi impie et inhumaine, une monstruosité qui suffirait pour mettre la France républicaine au ban des nations civilisées. Heureusement l’assemblée nationale renferme des hommes que l’étude de la question pénitentiaire a rendus célèbres, et la vérité, Dieu merci ! rencontrera des interprètes éloquens. En attendant que leur voix se fasse entendre, il m’a paru utile de bien préciser la situation présente, de l’expliquer aux nouveaux représentans qui n’ont point suivi les précédens débats des chambres à ce sujet.

J’ai toujours pensé que le meilleur moyen de faire mûrir les questions, de les faire aboutir, était de les arracher aux hommes spéciaux et de les livrer sous une forme moins sèche, plus concise, à la pensée générale, qui réagit ensuite sur l’opinion de ceux qui ont mission de prononcer. Le public a un grand bon sens ; il ne se plaît pas aux débats sans issue ; dès qu’il entrevoit la vérité, il coupe court aux discussions ; dès qu’une solution lui paraît importante, il la réclame. Or, le public, en France, n’est pas édifié sur la question pénitentiaire ; il ne sait à qui s’en rapporter ; égarée par dix-sept années de dissertations contradictoires, l’opinion flotte, incertaine et sans se fixer, de la routine aux théories nouvelles. De ces discussions sans fin, de ces volumes sans nombre, écrits dans toutes les langues, dans tous les temps, et où la vérité ne se rencontre qu’au prix d’une étude laborieuse et presque exclusive, tâchons d’extraire ce que le public doit savoir en ce moment et peut apprendre en une heure. Je commencerai par exposer l’état actuel des prisons. Je le ferai à l’aide de chiffres dont je garantis l’authenticité, et j’indiquerai, chemin faisant, le résultat inévitable du nouveau décret.

Voyons d’abord ce qui se passe dans les bagnes.

En ce moment, on compte dans les bagnes 7,953 forçats, dont 1,327 y sont entrés dans l’année 1847.

Sur ce nombre de 1,327, on compte 586 récidivistes, provenant la plupart des maisons centrales, c’est-à-dire beaucoup plus du tiers.