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Après avoir contemplé dans le passé et dans le présent la chute de tant de dynasties et d’empires, après avoir médité sur tant de ruines et de souvenirs, vous ne devez pas vous intéresser beaucoup à un spectacle si souvent renouvelé. Chrétien avant tout, les plus grandes destinées vous semblent petites, parce que vous les mesurez avec ce qui est infini. À cette hauteur, les choses de l’homme ne vous atteignent plus, mais les scènes de la nature vous touchent toujours. Aussi, quand je suis allé visiter Athènes, ne m’avez-vous point parlé de cette Grèce nouvelle, qui cependant est en partie votre ouvrage ; mais vous m’avez chargé d’aller visiter de votre part les abeilles du mont Hymette, qui se souviennent de Platon et de vous, et, quand je suis venu dans ce pays, vous m’avez recommandé les oiseaux de l’Égypte. Il y aurait beaucoup à en dire, monsieur ; mais il faudrait la plume de Bernardin de Saint-Pierre, à défaut de la vôtre, pour peindre cette multitude ailée au milieu de laquelle je vis depuis trois mois, habitant du Nil comme elle. Je me bornerai à quelques traits, et votre imagination fera le reste.

« Partout la plage, les îlots, les rochers, sont couverts d’une foule d’oies blanches et noires, qui tout à coup s’élèvent, tourbillonnent, se répandent dans l’air comme un nuage ou une fumée. Des escarpemens sont noircis par d’innombrables cormorans, qui s’envoient en tumulte quand un coup de fusil les détache par milliers des parois abruptes qu’ils tapissaient.

« Aux approches de la nuit, on aperçoit, immobile auprès du rivage, le pélican appelé le chameau du Nil, et qui jette un cri singulier dans les ténèbres. Cependant, le long du bord, les bergeronnettes sautillent et les happes marchent en frétillant d’un air coquet. Sur les branches de palmier roucoulent les tourterelles, celui des oiseaux qui, selon les musulmans, aime le plus Allah, parce qu’il murmure en hochant la tête comme un musulman qui fait le zikr. Un des plus jolis oiseaux de ce pays, ce sont les hérons blancs. Souvent j’en ai vu plusieurs perchés sur la tête d’un buffle noir, étrange sous cet éblouissant panache. J’en ai vu aussi une douzaine étagés sur un palmier qui semblait porter de grandes fleurs blanches. Vous étiez surtout curieux des oiseaux qui hantent les ruines, et vous aviez bien raison, car ils les accompagnent et les ornent admirablement. Jamais je ne me suis trouvé le crayon à la main, recueillant une inscription hiéroglyphique, sans être distrait par quelque incident pittoresque et poétique produit par eux et sans me rappeler ce que vous me disiez avant mon départ de l’effet que les oiseaux d’Égypte devaient produire au milieu des débris. Tantôt c’est le vautour blanc qui plane sur la tête du colosse de Memnon ; tantôt c’est l’épervier sacré, le dieu Horus aux yeux d’or, qui vient en personne se poser sur sa propre statue, ou enfin, comme faisant contraste à ces grands effets, c’est le babil infatigable des moineaux blancs et noirs,