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nationale par excellence, on les voit exécuter par troupes des évolutions rapides, des charges soudaines, arrêtées net avec une précision inimitable ; les fantaisies arabes qui excitent en Algérie l’admiration de nos officiers peuvent seules en donner quelque idée. Le hussard est, à vrai dire, le type national du Hongrois de toutes les classes ; il n’y a pas de paysan qui ne soit prêt à quitter sa maison pour s’enrôler dans un régiment de hussards. Il suffit que les raccoleurs, dans les fêtes de village, mettent à la porte de l’auberge un hussard, qui bat la caisse : la foule accourt, et les jeunes filles les premières poussent les jeunes gens à signer un engagement. — Mais voyez, me disait un pauvre diable qui avait été victime de leur déloyauté, quand une fois les raccoleurs vous ont fait boire, on signe, sans trop y voir, le papier qu’ils vous présentent, on boit encore et l’on s’endort joyeux, certain de se retrouver hussard le lendemain. Quel malheur ! le papier que vous avez signé est un engagement pour les dragons, ou même pour l’infanterie ; on se tue ou l’on déserte. — C’est sous cette double et mâle discipline de l’esprit et du corps, qui fait des hommes vraiment dignes de ce nom, que l’archiduc Étienne passa les premières années de sa jeunesse. Il avait vingt-deux ans : son esprit souple et pratique s’était déjà initié aux affaires, et préparé, sous l’œil de son père, à la destinée qui l’attendait, lorsque tout à coup le gouvernement autrichien insista pour qu’il allât résider à Prague, comme vice-roi de Bohème. Était-ce, en. effet, parce qu’à Vienne on appréciait déjà ses talens, ou était-on, comme je l’ai dit tout à l’heure, préoccupé des dangers de séparation que pouvait amener, entre la Hongrie et l’Autriche, cette quasi-royauté continuée, plus d’un demi-siècle, dans une branche cadette ? Ce fut sous ce dernier point de vue que l’opinion nationale considéra, en Hongrie, ce brillant exil. L’archiduc Étienne parut accepter lui-même avec plus d’obéissance que de joie une situation souveraine qui eût comblé une ambition moins dévouée à sa patrie. Il craignait de perdre l’affection et la popularité qu’il avait su conquérir, et de compromettre, sur un terrain qu’il n’avait point étudié, une situation unique en Hongrie. Quoi qu’il en soit, l’épreuve grandit rapidement le jeune prince. L’esprit n’est point comme ces outils de l’industrie moderne dont la précision même est un obstacle, inutiles ou dangereux dès qu’on veut les appliquer à un autre usage que celui pour lequel ils ont été faits. La pratique des affaires et des hommes, dans un gouvernement constitutionnel, se trouva la meilleure des préparations pour gouverner une province soumise à l’autorité absolue. L’administration de l’archiduc Étienne en Bohême fut paternelle comme celle de l’empereur François, éclairée comme celle du palatin, son père ; il sut en peu de temps se concilier trois choses, aussi nécessaires que difficiles dans sa situation nouvelle : l’amour des peuples,