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C’est ainsi que j’ai vu le palatin Joseph présider la diète réunie à Presbourg. Il arrivait à cheval, et, après des séances de huit et dix heures, il repartait de même pour se reposer avant le travail du cabinet. Avec quelle autorité il conduisait les débats ! avec quelle impartialité il laissait le champ libre à tous les partis, à toutes les opinions ! On le reprochait à Vienne à l’archiduc, le palatin en était béni et glorifié à Presbourg et à Pesth. Il avait pour gouverner la diète une admirable faculté, je ne sais quel instinct, quel don de seconde vue qui lui faisait pressentir, découvrir les volontés de l’assemblée, alors qu’indécise et incertaine elle-même, elle s’agitait au milieu des cris confus des partis. A l’époque où il présidait la diète, nul mode encore n’avait été fixé pour voter, aucun moyen légal n’existait pour recueillir les suffrages[1]. On ne votait pas au scrutin, on acclamait ; le mot est d’hier dans notre langue, mais la chose a toujours existé en Hongrie. Il fallait saisir les résolutions d’une assemblée nombreuse, passionnée, tumultueuse, par l’œil, par l’ouïe, mais surtout par une ame sympathique. Ainsi faisait le palatin. Certains murmures ou certaines acclamations s’élevaient, les sabres retentissaient sur le pavé de la salle avec un son clair ou sourd, par un mouvement rapide ou traînant. Je ne sais quel frémissement secret courait à travers l’assemblée. Le palatin se levait et proclamait que la résolution était adoptée on rejetée, qu’il y avait unanimité ou opposition. Jamais, pendant quarante années que le palatin a présidé la diète, aucune réclamation ne s’est élevée contre ses décisions, jamais aucun soupçon n’est entré dans l’esprit de l’opposition ou du parti gouvernemental, tour à tour victorieux on vaincus par l’arrêt de sa bouche. Quel éloge puis-je ajouter à ce fait ?

Aussi, lorsqu’il y a douze ans, une maladie grave vint menacer les jours du palatin, la douleur fut profonde et universelle ; une procession non interrompue d’habitans de toutes les classes, la consternation sur le front, montait les rampes escarpées qui, de Pesth et de la plaine du Danube, conduisent à la vieille forteresse de Bude, où résidait l’archiduc Joseph. Nobles, bourgeois, paysans, s’agenouillaient dans la cour intérieure du château ; alors c’étaient des lamentations ou des exclamations de joie selon les nouvelles du jour, des prières, des vœux superstitieux pour racheter cette vie précieuse. Elle fut prolongée quelques années encore, assez long-temps pour que le fils pût arriver à âge d’homme, et succéder au père.

A Vienne cependant, on était peu en sympathie avec les sentimens qui éclataient à Pesth ; on n’y aimait pas le bruit, le mouvement, l’agitation des partis ; les tendances libérales et nationales du palatin étaient

  1. Le vote par l’appel nominal ou au scrutin, tel qu’il est pratiqué dans les autres pays, a été adopté et pratiqué pour la première fois en Hongrie en 1836, quand la noblesse, jusque-là exempte de toute taxe, a été soumise à payer le péage du pont de Pesth ; la loi ne passa qu’à la majorité de six voix.