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de la France, et d’une population belliqueuse de douze millions d’habitans.

Même réduite à ces dernières proportions, la tâche de celui qui sera chargé d’établir et d’organiser cette indépendance fédérative est grande et peut suffire à la plus généreuse ambition. Par quelque compensation secrète des destinées humaines, au milieu de la crise fatale qui menace de dislocation l’empire autrichien, il s’est trouvé que l’homme le plus populaire de toute la Hongrie était l’archiduc Étienne, élu palatin du royaume à la fin de l’année dernière. C’est là la chance qui reste à l’Autriche, pour conserver un débris de souveraineté sur la Hongrie. Tout a contribué à la popularité du nouveau palatin : les services de son père l’archiduc Joseph, l’esprit d’opposition nationale dans lequel il a été élevé, sa jeunesse, son mérite éclatant, et, qui sait ? peut-être aussi le peu de temps qui s’est écoulé entre son élection et la révolution de Vienne, quatre mois à peine, interrompus par une maladie grave de six semaines. On est encore sous le charme de l’espérance. Ce sentiment aide, à leur début, tous les nouveaux gouvernans ; mais de toutes les lunes de miel celle-ci est la plus courte, et il faut se hâter de la mettre à profit.

Il ne faut pas s’y tromper d’ailleurs, c’est moins l’Autriche, le gouvernement autrichien, que la maison impériale, qui peut espérer de retenir à son profit le mouvement révolutionnaire et national de la Hongrie. L’empereur pourra rester roi de Hongrie, à la condition que son pouvoir, comme tel, se séparera nettement de celui qu’il exerce à d’autres titres, que les instrumens autrichiens disparaîtront complètement pour faire place à une administration toute nationale, que le palatin, en un mot, devenu une sorte de grand feudataire de l’empire, sera le vrai souverain du royaume. Singulier retour des destinées ! la Hongrie a versé autrefois le plus pur de son sang sur les échafauds et les champs de bataille, sans pouvoir obtenir ce que la fortune lui livre aujourd’hui. Son indépendance sera proclamée par un prince contre les ancêtres duquel elle organisa, pendant soixante ans, des conspirations, des révoltes, la guerre ! Si quelque chose peut consoler de la mobilité des sentimens populaires, c’est que les haines s’éteignent comme les affections, et vont dormir dans le tombeau commun.

Si passagère qu’elle soit, la popularité n’en est pas moins une force très réelle, à tel jour et à telle heure ; il n’en est pas d’autre même, quand les révolutions ont détruit les forces organisées de l’ancienne société. C’est avec son aide que le palatin peut mener à bien son œuvre difficile, conserver la Hongrie à la maison de Hapsbourg, et reconstituer sur les nouveaux fondemens de l’esprit moderne l’édifice antique de ce royaume. Avant d’exposer au jour cette organisation curieuse, qui réunissait sous le nom de constitution hongroise les plus monstrueux débris du régime féodal à côté des institutions libérales du dernier