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occasion quatre livres de figues et huit esteufs neufs, dont la dépense, s’élevant à 8 sols 4 deniers, fut ordonnancée le 14 mars 1437, ou plutôt 1438 (l’année commençant alors à Pâques). »


Jehan Godart est obligé de céder. Bientôt on réédifie des pans de mur ; l’Anglais menace toujours. M. Piedefer, échevin chargé de surveiller les travaux de fortification, a bien de la peine à s’acquitter de sa mission ; le bourgeois Savart le bat rudement et met en fuite les travailleurs ; l’abbé de Saint-l’ère-en-Vallée, prenant fait et cause pour Savart, arme ses gens contre les vilains qui font le guet sur la porte des Épars ; la justice informe ; procès-verbal est dressé contre l’abbé de Saint-Père et ses complices. Nous retrouverons dans le cours de ces études plus d’une trace de vive résistance aux abus temporels du pouvoir ecclésiastique et aux prétentions suzeraines on royales. Chartres n’est pas une ville de féodalité ou de bon plaisir ; fermière et agricole, elle n’est pas née comme une « mesnie » par agglomération de cabanes autour de la forteresse ; elle a son caractère vigoureux et quelquefois taquin, d’assez bonne humeur en général, mais qu’il ne faut pas opprimer ou impatienter, et qui devient volontiers mutin : — esprit en définitive indomptable ; — caractère particulier qu’il est utile et curieux de saisir.

Chaque ville, en effet, étant un organisme spécial, sort d’un germe et se développe d’après la nature de ce germe ; c’est un corps vivant qui possède sa raison d’être, son ame, son génie propre. Toulouse a toujours représenté les lettres, et Lyon la fabrique. Chartres, c’est le blé ou l’agriculture. Cité de roture agricole, de vilains et d’échevinage, de marchés au grain et aux porcs, c’est aussi une ville d’église, de catholicisme et de canonicats indépendans en lutte avec la bourgeoisie. « Tenir noblesse » est chose à laquelle les Chartrains du XVe siècle ne prétendent guère, à moins que cela ne les exempte de tailles et d’impôts. On se dispute les droits et les préséances ; on a maille à partir sur le mur d’enceinte et le mur mitoyen, sur les huis des portes à réparer et les « entreprises » des propriétaires qui empiètent toujours. On ne cède rien. Le roi demande-t-il des subventions, on résiste long-temps, humblement, et l’on persiste ; les pauvres sont protégés ; le clergé et les paysans sont tenus en bride d’une façon qui atteste l’énergie des manans nos aïeux, gens bien plus dignes d’estime qu’on ne l’a dit.

Au XVe siècle, la France n’était point parvenue à l’unité. Les citoyens de Chartres, en 1437, désirent surtout savoir ce qui se passe au dehors et ce que deviennent les armées anglaises ; ils paient cher les bonnes nouvelles qui leur arrivent ; ils tiennent infiniment à ce que M. le bâtard d’Orléans sache que la ville est loyale, qu’elle est bonne française, et avant tout qu’elle est très vigilante ; éloge mérité, comme le prouvent entre cent autres les petits documens suivans.