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combats, les Judith, les Jeanne, ont une tout autre organisation. Leur stature est élevée, leurs membres sont robustes, et les muscles se dessinent avec vigueur sous une peau brune et souple. La moustache de Renaud, ce fin duvet qui croît au menton de l’adolescent, ombrage légèrement leurs lèvres saillantes,

E intempestiva
Molle piuma del mento appena usciva.


Naguère encore j’ai pu voir, toute palpitante de l’animation des combats de février, une de ces créatures singulières qu’une sorte d’instinct batailleur précipite au milieu des insurrections, et qui se dressent sur les barricades, comme la Liberté de M. Delacroix. Cette fille étrange n’avait de la femme que le nom. Le cœur d’un soldat battait dans sa poitrine ; ses traits étaient masculins ; ses gestes, son allure et jusqu’aux sons de sa voix avaient quelque chose de virilement accentué. A voir le baudrier de la giberne et du sabre qui se croisait sur son corsage et le fusil qu’elle portait sur l’épaule, on eût dit un beau conscrit déguisé en femme. Ce mâle enthousiasme manque à la Jeanne Hachette de M. Bonnassieux, qui a plus de colère que d’élan. Elle tient un drapeau ; mais l’a-t-elle pris ou le défend-elle ? Elle n’est ni assez femme ni assez soldat et n’est pas surtout assez fille du peuple. Les chairs et les détails sont traités avec soin, bien qu’avec un peu de sécheresse. C’est une œuvre distinguée, comme tout ce que produit cet artiste, mais à laquelle l’inspiration a fait défaut. Quant à la Vierge-mère du même auteur, nous en parlerons tout à l’heure, quand nous nous occuperons des sujets de religion.

La Sapho, de M. Dieboldt, est un début. Le travail de l’artiste dénote cependant une certaine expérience, mais il manque de feu, ce qui est fâcheux pour un débutant. Le jugement que l’Institut avait porté sur cette figure, dernier envoi d’un élève de Rome, était, à la fois sévère et bienveillant ; il se terminait par l’invitation adressée à l’artiste d’achever certaines parties de son œuvre, invitation dont il ne nous paraît pas avoir tenu grand compte. Nous ajouterons à ce jugement une observation physiologique qui nous semble primer toutes les autres : M. Dieboldt a fait Sapho grasse et presque replète, et à notre avis il y a là une sorte de contresens. Quoi ! cette lourde et lymphatique personne serait Sapho, la fougueuse Lesbienne ? Sapho, sur le roc de Leucade, prête à se sacrifier à sa passion ! Sapho que le seul souvenir de son amant faisait défaillir, qui exhalait en cris l’hymne du désespoir et de la volupté ! Sapho devait être une autre femme que cela. Je la voudrais ardente comme Vénus, svelte comme Diane, car, chez ces natures passionnées, le feu intérieur consume l’enveloppe. Sa tête s’inclinerait sur sa poitrine, ses bras tomberaient, ses genoux ploieraient, son corps serait penché sur