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du dithyrambe antique dans laquelle le poète nous représente la ménade échevelée, pleine à la fois de Vénus et de son dieu, et se livrant à de convulsives fureurs. L’attitude n’a rien, dans son voluptueux abandon, d’indécent ou de forcé ; c’est la souplesse et le jet hardi des sculpteurs du dernier siècle, combinés avec la grace académique de Canova, avec le naturalisme de M. Pradier.

La statue exposée l’an dernier par M. Clesinger avait causé parmi les artistes, qu’ils fussent ou non de l’Académie, une rumeur que sa Bacchante n’est pas propre à faire cesser. Les fanatiques de l’antiquité condamnent cette manière violente et dégagée de reproduire la nature dans tout son laisser-aller et sans jeter aucun voile sur ces secrètes vérités que l’antique se plaît à dissimuler sous un certain module uniforme et traditionnel. Les apôtres du style reprochent à la fois à M. Clesinger un naturalisme outré et une certaine tendance à la manière, sans faire entrer en compensation de ses défauts la rare distinction de l’ensemble de ses figures et la savante exécution de quelques-unes de leurs parties. Beaucoup d’autres enfin gourmandent le public de son engouement, et cependant le public est-il si blasé sur les œuvres, sinon complètes, sinon irréprochables, du moins originales, pour avoir le droit de se montrer si dédaigneux ? On doit sans doute reprocher à l’artiste certaines incorrections, particulièrement dans l’avant-bras gauche de sa Bacchante, qui paraît court en disproportion avec le reste de la figure, et à l’exécution duquel la matière semble avoir manqué ; une certaine recherche dans le contraste, peut-être trop accusé, que présentent le linge plissé à l’excès et les chairs trop soyeuses ; un abus du mouvement et de la facilité ; une tendance vers la ligne flamboyante, surtout dans ses bustes ; de la confusion dans les accessoires, tels que les grappes de raisin, qui pourraient être plus heureusement groupées. En revanche, on doit lui savoir un gré infini de son audace, de sa nouveauté, de sa facilité de jet, de son adresse d’exécution, mais surtout de ce qu’il n’est ni Grec ni Italien, de ce qu’il est lui-même.

M. Bonnassieux, qui avait débuté, il y a quelques années, par une charmante statue et par d’excellens bustes dans le goût antique, d’une exécution fine et naïve, a exposé cette année deux statues en marbre d’un caractère très différent. L’une d’elles représente Jeanne Hachette, l’autre la Vierge-mère. Le talent pur et gracieux de M. Bonnassieux convenait mal à l’énergique représentation de l’héroïne populaire de Beauvais ; l’attitude de la combattante est naturelle, mais elle n’indique pas suffisamment l’action. Je vois une jeune fille qui combat, et rien ne m’explique le motif de la lutte. J’ignore si cette jeune fille irritée défend sa vie, sa vertu ou son pays. Les formes de Jeanne Hachette sont aussi trop chétives et trop virginales. Ces femmes fortes qui saisissent la hache ou l’épée, qui cherchent les aventures ou se jettent dans les