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ouvrira le temple de Jupiter Panhellénien, et la grue, si long-temps immobile, se remettra en mouvement pour achever la cathédrale de Cologne.

Le premier soin de Julien et sa préoccupation constante, c’est la restauration du culte. Cette dignité de pontifex maximes, qu’une tradition insignifiante attribuait aux empereurs, lui est plus chère que la dignité impériale. Son empressement à toutes les cérémonies, son respect minutieux des formes oubliées, ses décrets, ses circulaires, tout cela enfin est si étrange, que les païens eux-mêmes ne cachent pas leur surprise. Il y a chez lui plus de superstition que de religion véritable, dit Ammien Marcellin : Superstitiosus magis quam sacrorum legitimus observator. Ammien Marcellin exprime ici en quelques mots l’éternel esprit du romantisme. On a souvent demandé une explication nette de cette fameuse école historique de Frédéric-Guillaume IV et de ses conseillers MM. Eichhorn et de Savigny ; hélas ! il y a quinze cents ans que cette explication est faite. Demandez-la aux actes de Julien, demandez-la aux réflexions si sensées d’Ammien Marcellin et aux invectives si légitimes de saint Grégoire de Nazianze. — Et remarquez combien cette conformité est évidente ! Le célèbre édit de Julien qui interdit aux chrétiens l’étude et l’enseignement des lettres grecques, cet édit contre lequel saint Grégoire de Nazianze protesta avec une éloquence si vraie, et qui fut blâmé des païens eux-mêmes, a été justifié, chose singulière ! par les théologiens romantiques de notre époque. M. Ullmann croit trouver d’excellentes raisons pour absoudre cette odieuse tyrannie. Qu’était-ce que les écrivains grecs, dit M. Ullmann, et particulièrement les poètes ? Homère et Hésiode, Eschyle et Sophocle, ont écrit les livres sacrés du polythéisme ; Julien devait-il livrer l’explication de ces monumens religieux aux hommes qui n’en pouvaient adopter les croyances ? Certes, une telle justification, dans un livre composé à la gloire de l’évêque de Nazianze, serait véritablement incompréhensible, si, du point de vue où s’est placé M. Strauss, toutes les contradictions apparentes ne se débrouillaient pas d’elles-mêmes. M. Ullmann est fidèle ici à la pensée de son école ; il approuve chez le romantique païen ce que font tous les jours les partisans romantiques des dogmes du moyen-âge. Si l’on a eu le droit de chasser M. Bruno Bauer de sa chaire de théologie à l’université de Bonn, si l’on a le droit de s’indigner parce que M. Strauss et M. Arnold Ruge soumettent à une analyse scientifique les écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament, il faut bien reconnaître que Julien a eu raison d’interdire aux chrétiens les écoles philosophiques de la Grèce. Cependant la vérité est plus forte que l’intérêt personnel, et elle arrache à M. Ullmann des concessions qui vont le perdre. Après avoir justifié la décision de Julien, M. Ullmann déclare pourtant qu’à un autre point de vue, à un point de vue bien supérieur, cette décision est mauvaise et