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rencontré des imaginations frivoles qui ont cru pouvoir restaurer le moyen-âge et la féodalité et les royautés de droit divin. La Prusse n’est pas le seul pays qui ait été condamné à ce triste et singulier spectacle ; le trône de Prusse n’est pas le seul qui ait été occupé par ces hommes obstinés à renier leur époque ; le monde a vu un de ces romantiques sur le trône des Césars, et, quel que soit son héroïsme, ce n’est pas seulement l’église, c’est la philosophie et l’humanité tout entière qui ont eu raison de l’appeler Julien l’apostat. Telles sont les conclusions que prend M. Strauss au début même de son pamphlet ; écoutons maintenant le plaidoyer.

Il y a dans Julien trois personnages distincts qu’il faut interroger tour à tour, le pontife, l’empereur et l’homme. Ces trois personnages sont également romantiques, je me sers toujours du terme consacré en Allemagne, et dont la signification est suffisamment établie, je pense, par tout ce qui précède. Voyons d’abord le pontife, voyons le fervent adorateur du polythéisme, car n’est-ce pas le caractère qui nous frappe le plus dans l’exaltation bizarre de l’apostat ? Ce n’est point par politique, comme on l’a dit, que Julien était attaché au culte des Grecs ; c’est la direction de sa pensée qui le conduisit là tout naturellement, c’est son romantisme qui fit de lui un dévot. Or, Julien était si manifestement romantique, comme tous ceux qui s’opposent, en Allemagne, au libre mouvement de l’esprit humain et qui tournent le dos à l’avenir, il était si bien d’accord avec Frédéric-Guillaume IV et ses anciens ministres, que leurs paroles en maintes circonstances sont exactement les mêmes. M. Strauss indique ces piquantes ressemblances avec la plus ingénieuse habileté.

Élevé dans le romantisme d’Alexandrie, comme Frédéric-Guillaume IV dans l’école historique, nourri de Jamblique et de Plotin, comme Frédéric-Guillaume était nourri de la pensée de Schelling, Julien dut bien souffrir lorsque Constantin abjura les croyances païennes. M. Strauss dépeint très bien l’irritation contenue du jeune prince et les projets qui fermentent dans cette fausse et ardente imagination. Constantin et Frédéric-Guillaume III sont favorables aux doctrines nouvelles ; c’est chez eux une affaire de politique assurément bien plus qu’une sympathie sérieuse, mais enfin le christianisme est la religion de l’empire, et Hegel est tout-puissant à Berlin. Quels scandales ! quelles impiétés ! Où sont les dieux de la Grèce ? Que sont devenues les institutions du moyen-âge ? Ah ! quand le jeune prince romantique sera monté sur le trône, quand il se nommera l’empereur Julien ou Frédéric-Guillaume IV, tout changera subitement. Une volonté enthousiaste arrêtera la folie des révolutions. Libanius et Schelling seront les maîtres de la science ; saint Grégoire de Nazianze et la philosophie hégélienne seront expulsés des écoles. Une main souveraine