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qui devraient remuer en tout sens le sol si riche de notre patrie, ne sont, en définitive, que des espèces de succursales des lycées.

C’est chose triste à dire, mais nulle part peut-être les hommes de science ne sont aussi mal traités qu’en France. En Russie, dans ce pays dont le nom est pour nous synonyme de barbarie et d’ignorance, le savant que l’état prend à son service est traité à l’égal de tous les autres fonctionnaires. S’il parvient à une position équivalente à celle de général, il jouit de tous les honneurs, de tous les droits attachés à ce grade, son travail est largement rétribué. En France, les positions scientifiques sont loin d’assurer à celui qui les a conquises une considération proportionnée à leur importance, et les plus élevées d’entre elles donnent bien juste de quoi vivre à l’homme qui, par ses travaux, a su rendre son nom européen. Un professeur du Collège de France est moins rétribué qu’un sous-chef de division aux ministères.

Ainsi, à Paris aussi bien qu’en province, le traitement des professeurs de science est insuffisant. A Paris, l’inégalité de ce traitement, comparé à celui des professeurs de droit ou de médecine, est peut-être plus choquante encore à raison de la position élevée que leurs travaux ont faite.à presque tous ces savans aux yeux de leurs compatriotes et des étrangers. Des exigences sociales, plus multipliées, plus impérieuses, nécessitent des dépenses plus considérables, et, pour y subvenir, ils ont recours au cumul. Ici nous touchons à une question brûlante. De tout temps, mais surtout depuis la révolution de février, le cumul scientifique a été attaqué avec violence, défendu avec ténacité. Au risque de soulever des inimitiés dans les deux camps, nous dirons sur ce point toute notre pensée.

Le cumul, on ne saurait le méconnaître, entraîne des conséquences déplorables. Nous nous bornerons à indiquer ici une des plus désastreuses. Chaque professeur occupant deux et quelquefois trois chaires, le nombre, déjà peu considérable, de celles-ci est comme réduit de moitié. Chaque professeur répète dans deux chaires distinctes le même cours ou tout au moins professe les mêmes doctrines. Quelle que soit la valeur scientifique de son enseignement, n’y aurait-il pas un incontestable avantage à ce que ces mêmes idées fussent exposées d’une autre manière, à ce que des doctrines différentes pussent se faire jour ? Il résulte aussi de cette accumulation de chaires sur une seule tête, que le mouvement des promotions est considérablement ralenti. De là, pour les jeunes gens qui se consacrent aux sciences, une extrême difficulté d’atteindre aux positions qui doivent à la fois récompenser et faciliter leurs travaux. Ceci est un inconvénient grave, car ou ces jeunes gens se rebutent, ou ils arrivent tard. Il serait facile de citer bien des exemples, de nommer les hommes qui, après avoir débuté de la manière la plus brillante, ont reculé devant la perspective d’une attente