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De plus, cet état de choses entraîne des inconvéniens réels. A chaque emploi vacant, on éprouve de véritables difficultés pour trouver des professeurs de faculté de province. À chaque instant, on est forcé d’enfreindre les règlemens, qui veulent qu’un professeur de faculté ait trente ans accomplis. La nécessité, et non des services rendus, sert seule d’excuse à ces violations de la loi. Nous avons vu une chaire de mathématiques, vacante dans une de nos plus grandes villes, refusée successivement par trois professeurs de lycée. De guerre lasse, on nomma pour la remplir un jeune homme de vingt-deux ans. Nous avons vu une chaire de physique donnée, pour des raisons semblables, à un élève tout récemment sorti de l’École Normale. Sans doute ces jeunes gens avaient intelligence et bonne volonté : placés aux premiers rangs de cette pépinière de professeurs distingués que fournit la faculté de l’enseignement, ils étaient parfaitement capables de faire un bon cours ; mais leur nom était inconnu dans la science, ils n’avaient rien produit par eux-mêmes, et ils ne pouvaient parler avec l’autorité que doit posséder tout homme chargé d’un enseignement supérieur. A Paris, où ces convenances sont mieux observées, laisserait-on monter dans une chaire de la Sorbonne celui qui saurait seulement répéter à ses auditeurs la parole d’autrui, qui ne pourrait jamais parler au nom de sa propre expérience ?

Le traitement des professeurs de facultés des sciences est inférieur à celui de tous les autres professeurs de faculté. L’infériorité est surtout choquante lorsqu’on compare sous ce rapport les facultés des sciences avec les facultés de droit ou de médecine. Ces différences tiennent au casuel résultant des examens, qui, toujours considérable pour les écoles professionnelles, est presque nul dans les établissemens dont ne relève directement aucune carrière. Quoi qu’il en soit, les populations, habituées en général à juger du rang des fonctionnaires par le chiffre plus ou moins élevé de leur traitement, ont été conduites à établir entre les diverses facultés une distinction qui n’existe pas. À Strasbourg, à Montpellier, à Toulouse, le professeur de médecine ou de droit occupe dans la société un rang élevé que personne ne lui dispute ; le professeur de science est à peine regardé comme supérieur au professeur de lycée. Poussés par l’exiguïté de leur traitement, un grand nombre de professeurs de faculté cherchent à se créer d’autres ressources. En dépit de règlemens formels à cet égard, le mathématicien donne des répétitions ; le physicien, le chimiste, s’attachent à quelque pensionnat ; le naturaliste, presque toujours médecin, s’adonne à la clientelle. Bientôt, le mauvais vouloir des supérieurs administratifs venant en aide à ces distractions, les travaux de recherche sont entièrement abandonnés, et voilà comment nos facultés de province, qui devraient rallier et stimuler les intelligences, qui devraient être l’intermédiaire entre Paris et les départemens,