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exorbitante à quelques universitaires habitués à regarder la science comme parfaitement inutile à quiconque n’est pas un savant de profession. Qu’on y songe pourtant, et qu’ici encore on interroge le passé. Il fut un temps où les chefs de la société ne savaient ni lire ni écrire, où les mots clergie et noblesse représentaient des idées presque opposées. Pourtant tout le monde est clerc aujourd’hui. Les descendans des barons ont senti le besoin de posséder cette instruction si méprisée par leurs ancêtres. Or, de nos jours, la science se fait place dans la société avec autant d’autorité que purent en avoir les lettres à l’époque de la renaissance. Encore quelques années, et il sera aussi honteux pour le plus illustre écrivain d’être complètement ignorant en science qu’il le serait aujourd’hui pour un Montmorency de ne pouvoir signer.

On n’exige pas des lycées qu’ils forment d’emblée des historiens savans, des littérateurs érudits. Nous ne demandons pas davantage qu’ils rendent à la société des physiciens, des naturalistes achevés. L’instruction scientifique secondaire doit s’étendre bien plus en superficie qu’en profondeur. L’écolier doit y puiser des notions générales basées sur une théorie élémentaire appliquée à la connaissance des faits les plus ordinaires, à l’explication des phénomènes journaliers. Au sortir du lycée, il doit non pas connaître dans ses détails le monde qui l’entoure, mais être à même de promener sur l’ensemble un regard intelligent. En un mot, il doit pouvoir subir un examen à peu près semblable à celui du baccalauréat ès-sciences actuel.

Ainsi préparé, un jeune homme pourra aborder sans crainte l’enseignement supérieur. Entré dans la faculté, il choisira avec connaissance de cause. Tout en étudiant les détails de la science à laquelle il aura dû se consacrer, il échappera, par la généralité de son instruction antérieure, aux inconvéniens d’une spécialisation trop restreinte. L’enseignement des facultés doit être à la fois théorique et pratique. En écoutant les professeurs dans les amphithéâtres, l’élève apprendra à connaître l’état actuel de la science dans tout ce qu’il a de précis, de définitivement acquis, et en quelque sorte de classique. En manipulant dans les laboratoires, il s’initiera aux méthodes d’observation ou d’expérimentation ; il apprendra à travailler par lui-même. Les examens de la licence, les thèses, du doctorat constateront sa capacité sous ce double rapport.

Au-dessus de la faculté se trouve le Collège de France. Ici l’enseignement doit revêtir un autre caractère et s’adresser non plus à des élèves, mais aux professeurs eux-mêmes. C’est au Collège de France que doivent être exposées les théories les plus hautes, la philosophie même des sciences. En outre, les progrès les plus récens, les doctrines les plus nouvelles doivent pouvoir s’y faire jour. Le professeur ne doit plus seulement promener son auditoire dans les routes battues, il doit leur