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pas dans les trois jours de février, elle est dans les trente-trois années qui ont suivi 1815 ; elle ne s’appelle pas la révolution, nommons-la maintenant le plus haut possible, elle se nomme la paix. C’est cette paix de trente-trois ans qui, du Rhin au Danube et de la Seine à l’Oder, a rallié tous les hommes dans une communion permanente du cœur et de la pensée. Quels que soient contre notre époque les griefs de l’avenir, l’avenir lui devra du moins cet hommage, que plus encore qu’aucune autre, plus même que le mouvement religieux du XVIe siècle, elle a resserré les liens des nations en développant la fraternité des intelligences.

Cette fraternité s’est trouvée si efficace, que, dans les pays où les idées de notre temps semblaient avoir le moins pénétré, elles avaient pour ainsi dire marché sous terre et n’attendaient qu’un accident pour lever la tête. Nous ne voulons aujourd’hui que l’Autriche comme exemple. Les événemens du 13 et du 14 mars n’ont fait que décréter à Vienne une métamorphose déjà préparée dans tout l’empire. La métamorphose est aussi complète par le fond qu’elle est piquante dans la forme. Vienne, la ville de la police et de la censure, présente aujourd’hui le même spectacle que Paris, le mouvant et bruyant spectacle de toutes les libertés en action. Il n’y a pas encore six semaines, la censure empêchait qu’on ne dise de Wallenstein, du Wallenstein de Schiller, qu’il avait été assassiné, et l’on s’émerveillait qu’elle eût permis les hardiesses allégoriques que Bauernfeld glissait dans ses drames : à l’heure qu’il est, on crie dans les rues des brochures et des journaux, les vitres des libraires sont garnies de caricatures, les murs couverts de placards. La police de cette publicité exubérante est remise à la garde nationale ; c’est elle qui, par une singulière délégation, est chargée de veiller au débordement des affiches et d’arracher celles qui seraient trop incendiaires. Les bons Viennois sont maintenant si fiers d’être Autrichiens, qu’ils écrivent dans leurs journaux affranchis d’hier que, si le prince de Metternich a été ce mauvais politique rétrograde que l’on a vu, c’est parce qu’il n’était pas natif de l’Autriche. Jusque dans la haute société, on sacrifie à l’entraînement du jour le comte Buquoy poursuit de ses vers le vieux chancelier fugitif, et l’appelle prince Minuit (furst Mitternacht). Tous les membres de l’aristocratie ne s’associent pas certainement à l’expression de l’animosité populaire, mais il en est cependant qui savent mieux se venger de l’abaissement où leur ordre avait été si long-temps retenu par les bureaucrates de la chancellerie. Ils mettent leurs titres de côté pour prendre le fusil du garde national, et les bourgeois de Vienne parlent avec une fierté encore passablement naïve de leur commandant Hoyos ou de leur capitaine Colloredo.

Jusque dans les parties les plus arriérées des états autrichiens, l’aspect du pays s’est tout d’un coup vivifié. Dans la Haute-Autriche, dont les populations ont en Allemagne un renom proverbial de simplicité, tout le long du Danube, de Passau à Lintz, les villes et les villages se sont parés comme pour une fête. A toutes les maisons pendent des drapeaux où se lisent ces mots révolutionnaires Liberté de la presse, réforme, constitution. A Gratz, en Styrie, la nouvelle de l’affranchissement est lue en plein théâtre par le gouverneur, et la foule court les rues, se réjouissant et demandant des lampions avec une insistance toute parisienne. On doit penser que l’animation est plus vive encore dans la Hongrie et dans la Bohème. La vraie capitale hongroise, Pesth, va recouvrer la possession de la diète nationale, dont elle suivait les débats à distance avec une anxiété tumultueuse, tant qu’ils se passaient à Presbourg, sous l’œil de l’Autriche. À Prague, la